Manipulationsamoureuses: With Floriane Andersen. Menu. Movies. Release Calendar DVD & Blu-ray Releases Top 250 Movies Most Popular Movies Browse Movies by Genre Top BoxThĂ©rĂšse dĂ©barque au Mistral lors de la dixiĂšme saison, jeune file de quatorze ans, orpheline, elle est trimbalĂ©e de famille d'accueil en famille d'accueil puis en foyer. ThĂ©rĂšse croise la route de Gabriel Riva alors qu'elle se fait hospitaliser Ă l'hĂŽpital Marseille-Est, aprĂšs quelques jours, Gabriel parvient Ă nouer un contact avec ThĂ©rĂšse qui lui raconte la vie difficile en foyer! Gabriel se propose d'hĂ©berger ThĂ©rĂšse quelques jours Ă son domicile, alors qu'il y vit avec Thomas Marci son compagnon, chose qui se fait! Jeune fille extravertie, dynamique, pleine de vie et d'humour, ThĂ©rĂšse s'attirera la sympathie de tout le Mistral! Alors que ThĂ©rĂšse doit repartir dans un nouveau foyer, loin, elle se voit proposer par Gabriel Riva et Thomas Marci de se faire...adopter par eux! ThĂ©rĂšse est touchĂ©e par la demande, mais leur apprend une nouvelle dont elle ne leur avait pas parlĂ© ces premiĂšres semaines ThĂ©rĂšse a un demi-frĂšre Baptiste Marci qui a quinze ans, dont elle est trĂšs proche depuis sa tendre enfance, et elle refuse de se faire adopter si Baptiste n'est pas adoptĂ©. ThĂ©rĂšse voit alors Thomas et Gabriel d'accord d'adopter aussi Baptiste... alors que l'affaire peut sembler simple, il n'en est pourtant rien, car si ThĂ©rĂšse est une adolescente tolĂ©rante et ouverte d'esprit, Baptiste est un adolescent perturbateur, dissipĂ© et surtout homophobe! ThĂ©rĂšse tentera en vainc de convaincre Baptiste de se faire adopter par Gabriel et Thomas, ce dernier refusant de se faire adopter par un couple homosexuel... Pourtant un essai d'adoption se fait, ThĂ©rĂšse et Baptiste vivront quelques mois chez Gabriel et Thomas! Par la suite, ThĂ©rĂšse et sa famille disparaissent un temps des Ă©crans. Quelques semaines plus tard, ThĂ©rĂšse rĂ©apparaĂźt, alors qu'elle se rend sagement au lycĂ©e dans lequel l'ont inscrite Gabriel et Thomas, son demi-frĂšre Baptiste n'y est jamais allĂ©, bien que jeune fille sage, ThĂ©rĂšse couvre les bĂȘtises de Baptiste, il arrive mĂȘme que ThĂ©rĂšse soit entrainĂ© par Baptiste ou vaguement d'elle mĂȘme dans certaines bĂȘtises notamment lorsque Baptiste volera la voiture de Gabriel et Thomas et entrainera ThĂ©rĂšse dans sa fugue ou encore quand Baptiste l'incitera Ă dĂ©chirer leurs habits pour en faire payer de nouveau par Gabriel et Thomas. ThĂ©rĂšse est heureuse quand aprĂšs maintes nouvelles pĂ©ripĂ©ties, la situation s'apaise totalement e que Baptiste accepte enfin de se faire adopter par Gabriel et Thomas. ThĂ©rĂšse se voit finalement inscrite au lycĂ©e Vincent Scotto, on apprend que ThĂ©rĂšse est une excellente Ă©lĂšve aux rĂ©sultats brillants et qu'elle a d'ailleurs sautĂ© une classe, contrairement Ă Baptiste qui a de grosses difficultĂ©s scolaires. ThĂ©rĂšse et Baptiste parviennent Ă tout de mĂȘme ĂȘtre inscrit dans la mĂȘme classe malgrĂ© leur grande diffĂ©rence de niveau scolaire. ThĂ©rĂšse se lie d'amitiĂ© ZoĂ© Prieur et Kevin Belesta et forme une vĂ©ritable bande d'amis avec ces deux-lĂ et son demi-frĂšre Baptiste. ThĂ©rĂšse peut aussi se montrer jalouse, Ă tord ou Ă raison, quand elle dĂ©testera Emma Rimez qui est la nouvelle petite-amie de Baptiste, se sentant abandonnĂ© par Baptiste ayant l'impression juste ou fausse qu'il privilĂ©gie sa relation amoureuse avec Emma, Ă sa complicitĂ© fraternelle qui date de leur enfance avec elle. Mais ThĂ©rĂšse finira par devenir amie Emma Rimez. Bien plus tard, ThĂ©rĂšse tombera amoureuse de CĂ©sar Cordennier aprĂšs une brĂšve relation avec Pierrick le pire ennemi de Baptiste Marci car CĂ©sar avait voulu sĂ©duire Emma, n'avait pas hĂ©sitĂ© Ă mentir sur une pseudo-maladie dont il souffrirait ou encore Ă manipule l'ensemble des amis de ThĂ©rĂšse. Mais les sentiments ne se contrĂŽlent pas, et ThĂ©rĂšse vivra cachĂ©e son amour avec CĂ©sar... mais quand Baptiste l'apprendra il parviendra par une machination Ă faire croire Ă ThĂ©rĂšse que CĂ©sar se drogue toujours actuellement, ThĂ©rĂšse prise dans la manipulation de Baptiste quitte CĂ©sar, ne se doutant pas que CĂ©sar n'y est pour rien. De longs mois plus tard, ThĂ©rĂšse apprend la vĂ©ritĂ© sur l'affaire de drogue de CĂ©sar et en voudra profondĂ©ment Ă Baptiste, surtout qu'entre temps CĂ©sar a refait sa vie amoureuse avec une autre camarade de classe, ThĂ©rĂšse fugue. Mais tout se fini bien quand elle est retrouvĂ©e et que Baptiste lui demande pardon, et cerise sur la gĂąteau, ThĂ©rĂšse parvient Ă renouer avec CĂ©sar Cordennier! ThĂ©rĂšse est enfin heureuse amoureusement! Bien qu'en couple et trĂšs amoureuse de CĂ©sar, ThĂ©rĂšse vivra une brĂšve aventure amoureuse avec son amie ZoĂ© Prieur avec le semi consentement de CĂ©sar! Bien que trĂšs amoureuse de CĂ©sar, et semblant heureuse et Ă©panouie, ThĂ©rĂšse finira par se sĂ©pare de CĂ©sar aprĂšs quelques annĂ©es passĂ©es en couple, c'est plutĂŽt CĂ©sar qui quittera ThĂ©rĂšse lui apprenant le trouver trop routiniĂšre et ennuyante alors qu'il a besoin de sensations fortes, ThĂ©rĂšse sera profondĂ©ment vexĂ©e ce qui mettra un terme dĂ©finitif Ă l'histoire d'amour de ThĂ©rĂšse et CĂ©sar! Mais le destin n'est pas sans surprise, et aprĂšs quelques mois de cĂ©libat, ThĂ©rĂšse vivra un accident de la route en percutant une autre voiture alors qu'elle faisait de la conduite accompagnĂ©e, ThĂ©rĂšse voudra rencontrer le jeune homme du nom de Hugo Dautret une fois qu'il est rĂ©veillĂ©, qui a Ă©tĂ© gravement blessĂ© alors que ThĂ©rĂšse n'a quasiment rien eut... ThĂ©rĂšse aura alors un coup de foudre pour Hugo mĂȘme si ce dernier vivra une pĂ©riode difficile avec sa famille, tentera de se suicider ou encore fera une rechute aprĂšs son rĂ©veil de l'accident. ThĂ©rĂšse dĂ©butera une histoire d'amour avec Hugo! Pourtant, ThĂ©rĂšse finira par se sĂ©parer de Hugo, hors Ă©cran. AudĂ©but du rĂšgne de Louis XVIII, Edmond DantĂšs (GĂ©rard Depardieu), marin, est la victime innocente d'un complot et enfermĂ© dans le ChĂąteau d'If SprĂłbuj na IMDb SprĂłbuj na IMDb. Et Dumas de prĂ©ciser: Köp Le comte de Monte-Cristo av Univerb pĂ„ Bokus 17 Mbps overall) Le Comte de Monte Cristo a Ă©tĂ© adaptĂ© pour l'Ă©cran pas moins de cinquante fois, dans de MenuAllAllTitlesTV EpisodesCelebsCompaniesKeywordsAdvanced SearchWatchlistSign InENFully supportedEnglish United StatesPartially supportedFrançais CanadaFrançais FranceDeutsch Deutschlandà €Âčà €¿à €âà €Šà „⏠à €ÂĂ Â€ÂŸĂ Â€Â°Ă Â€Â€Italiano ItaliaPortuguĂÂȘs BrasilEspañol EspañaEspañol MĂ©xicoAu nom de la vĂ©ritĂ©All episodesAllCast & crewIMDbProEpisode aired Nov 2013YOUR RATINGDramaAdd a plot in your languageYOUR RATINGSee more at IMDbProStarFloriane AndersenStarFloriane AndersenSee production, box office & company infoSee production, box office & company infoPhotosAdd photoTop castEditFloriane AndersenCandiceAll cast & crewProduction, box office & more at IMDbProStorylineEditUser reviewsBe the first to reviewBe the first to reviewDetailsEditRelease dateNovember 2013 FranceSee more company credits at IMDbProTechnical specsEditRuntime26 minutesRelated newsContribute to this pageSuggest an edit or add missing contentIMDb Answers Help fill gaps in our dataLearn more about contributingEdit pageMore to exploreListThe Best Movies and Shows to Watch in AugustSee the full listListFall TV Guide The Best Shows Coming This YearSee the full listPhotosDouble Take Celebrity TwinsSee the full listBack to topRecently viewedYou have no recently viewed pages Regarderen exclusivitĂ© tous les replay de Au nom de la vĂ©ritĂ© - ProposĂ© en streaming sur TF1 SĂ©ries Films et diffusĂ© le 8 janvier 2022 Skip to content DICKER JoĂ«l En 2018, JoĂ«l se rend au Palace, prestigieux hĂŽtel de Verbier, pour se remettre dâune dĂ©ception amoureuse et de la mort de son Ă©diteur, Bernard de Fallois, auquel il tente de consacrer un livre. Il est loin de se douter quâil va passer ses vacances, entraĂźnĂ© par une ravissante voisine, Ă enquĂȘter sur un meurtre commis des annĂ©es auparavant dans la chambre 622. Verbier ! Une station de ski oĂč il ne se passe jamais rien⊠Câest compter sans JoĂ«l Dicker, alias lâĂ©crivain », qui se met habilement en scĂšne et mĂ©nage un suspense qui va crescendo jusquâaux derniĂšres pages. Lâhommage appuyĂ© Ă son Ă©diteur, qui fut Ă©galement son ami, sâintercale avec dĂ©licatesse dans une intrigue aux moult rebondissements. Ă lâĂ©gal de La disparition de StĂ©phanie Mailer Les Notes mars 2018, Dicker prend son temps pour faire vivre une brillante galerie de personnages qui trouvent leur Ă©quilibre dans lâalternance des Ă©poques. Chantage, duplicitĂ©, trahison, machination ; lâauteur, dotĂ© dâun esprit mĂ©thodique, brouille les pistes sans jamais lĂącher une intrigue au fort potentiel distrayant, qui brosse une Ă©poque rĂ©volue de luxe ostentatoire. Les convictions se muent en doute jusquâĂ un Ă©pilogue qui livre sa vĂ©ritĂ© dans une ultime pirouette. Maje et print 15K views, 42 likes, 48 loves, 36 comments, 13 shares, Facebook Watch Videos from Temple de Saint-BenoĂźt, Muruga, au nom de la vĂ©ritĂ©: ***Temple Siva Soupramanien de Saint-BenoĂźt*** VAĂCASI VISĂGAM
Palpitant et enlevĂ© tels sont les mots qui viennent spontanĂ©ment Ă la lecture dâAdultĂšre, le nouveau roman dâYves Ravey qui paraĂźt ces jours-ci chez Minuit. Au cĆur dâun dĂ©sastre financier qui lâoblige Ă fermer son commerce, Jean Seghers, le narrateur, est comme conduit, presque malgrĂ© lui, Ă sâinquiĂ©ter de son entourage et bientĂŽt Ă tout vouloir liquider. VĂ©ritable page turner, AdultĂšre se donne comme un rĂ©cit qui ne cesse de nourrir une rĂ©flexion sur lâidentitĂ© et lâempreinte spectrale des images dans nos vies. Autant de raisons pour que Diacritik aille Ă la rencontre du romancier le temps dâun grand entretien. Ma premiĂšre question voudrait porter sur la genĂšse de votre Ă©nergique et palpitant nouveau roman, AdultĂšre qui vient de paraĂźtre. Comment en est prĂ©cisĂ©ment lâidĂ©e ? Existe-t-il une scĂšne ou une image prĂ©cise Ă partir de laquelle il a pu prendre sa naissance ? Sa structure policiĂšre, trĂšs marquĂ©e et sâorganisant comme lâaffirme le narrateur autour dâun projet criminel », invite Ă y voir une origine proche dâun fait divers est-ce le cas ? Enfin, comment vous est venu un titre si lapidaire ? Existe-t-il une scĂšne originelle ? AprĂšs avoir abandonnĂ© le territoire de mon roman prĂ©cĂ©dent Pas Dupe, jâai attendu que me parviennent les conditions dâexistence dâun autre roman en escomptant que les personnages, en premier lieu le narrateur, entrent en interaction avec le cadre. Jâai ressenti trĂšs vite la nĂ©cessitĂ© dâĂȘtre motivĂ© par un acte fort, pour Ă©crire Ă long terme, pour ne pas avoir Ă dĂ©truire aprĂšs cinquante pages, comme cela arrive si souvent, quand le texte sâĂ©puise de lui-mĂȘme. Jâai attendu, comme on attend lâautobus, au coin de la rue, avec un peu de culpabilitĂ© que rien nâapparaisse jamais. Jâai admis Ă ce moment-lĂ que ce qui doit nĂ©cessairement advenir est transportĂ© par le souvenir. Progressivement me sont apparues deux choses 1 la station-service oĂč jâai fait office de veilleur de nuit, jâavais lâĂąge dâaller au lycĂ©e. 2 Mâest apparu cette image de la patronne de la station, qui logeait sur place avec son mari, couple trĂšs attachant et protecteur. Il nâĂ©tait pas rare que la patronne, je ne peux me souvenir de son prĂ©nom, vienne dans le bar, vers les deux heures du matin, et elle restait lĂ , appuyĂ©e au comptoir, ce qui me causait une vive Ă©motion. JâĂ©tais dâailleurs trop timide pour lui dire quoi que ce soit. CâĂ©tait donc des grands moments de silence. Sâagissant du fait divers, les circonstances de lâintrigue ont fait que, assez vite, lâidĂ©e du crime, liĂ©e au narrateur non encore dĂ©fini, sâest manifestĂ©e. Je dois nuancer lâidĂ©e du mot fait divers ce qui est vu comme un fait divers je ne mâen prĂ©occupe pas durant lâĂ©criture. Le fait divers, câest lâĂ©vĂ©nement vu de lâextĂ©rieur, par la presse, la radio, le reportage. Ce que jâai conçu, ou ai tentĂ© de concevoir, câest un regard, non de lâextĂ©rieur, mais de lâintĂ©rieur dans ce cas, lâhistoire se raconte sous le couvert dâune affaire privĂ©e, qui relĂšve de lâintime. Ă cet endroit prĂ©cisĂ©ment â dans le passage de frontiĂšre entre intĂ©rieur â intimitĂ©, et extĂ©rieur â vu par tous â, se produit la coupure. En premier lieu, le narrateur exprime des choses personnelles, il fait part de ses sentiments, dĂ©taille les situations. Il est lui-mĂȘme le moteur de lâaction dont le rĂ©sultat pourrait ĂȘtre lu, de lâextĂ©rieur, comme un fait divers. Mais celui-ci reste avant tout une concentration de sensibilitĂ©s antagonistes qui constituent lâhistoire vue de lâintĂ©rieur. Le personnage qui agit ne sait pas quâil obĂ©it Ă une loi gĂ©nĂ©rale dont le cadre, vu de lâextĂ©rieur, tient dans un article de journal. Ici intervient la Loi, avec un L majuscule, qui ne laisse aucun rĂ©pit au criminel. Rien ne se produit sans la Loi. Quant au titre, il est venu aprĂšs mĂ»re rĂ©flexion, le temps que se reconstitue la logique du rĂ©cit, qui doit alors apparaĂźtre dans sa globalitĂ©. Quand un mot parmi dâautres rĂ©apparaĂźt dans chaque ligne, dans chaque paragraphe on peut dire Câest toujours de la mĂȘme chose quâil est question. Ce mot apparu est le mot AdultĂšre. Je sais que ce vocable nâa rien de poĂ©tique, je ne sais qui il intĂ©resse, ce que je sais, câest quâil est partout. Il concerne chaque personnage, chaque action nĂ©e de cette prĂ©occupation de lâadultĂšre, consciente ou non. Jâai ressenti trĂšs fort Ă ce moment-lĂ , aprĂšs avoir Ă©crit et réécrit lâensemble, de maniĂšre dĂ©finitive, que rien ne pourrait remplacer ce titre, sinon au risque de dĂ©tourner le sens du propos. Le titre mâest apparu Ă©galement producteur rayonnant de sens, il recouvre des idĂ©es aussi fortes que la trahison par exemple, la passion, la tromperie, la destruction⊠ensuite on peut y trouver des tas de choses, y compris lâidĂ©e de libĂ©ration, sachant que lâidĂ©e de lâadultĂšre peut ĂȘtre saisie sous diverses formes. Nâoublions pas que câest dâune histoire que nous parlons, avec ses personnages, ses points de vue multiples. En ce sens, je ne peux dire que le titre prĂ©cĂšde lâĂ©criture, car il dĂ©finirait le projet que je me serais fixĂ©, alors que je ne me suis fixĂ©, honnĂȘtement, aucun projet de dĂ©part. Pour en venir au cĆur de votre roman, intĂ©ressons-nous tout dâabord, si vous le voulez bien, Ă Jean Seghers, le narrateur et personnage principal dâune intrigue sans cesse mouvante dont il est lâacteur principal. PropriĂ©taire dâune station-service en faillite et redressement judiciaire, Jean est mariĂ© Remedios, jeune femme extrĂȘmement sĂ©duisante qui ne manque Ă©videmment pas de susciter le dĂ©sir. FidĂšle Ă vos prĂ©cĂ©dents personnages, Jean paraĂźt avoir comme une voix blanche, comme frappĂ©e de ce quâon nommait au 17e siĂšcle lâestrangement, Ă savoir une maniĂšre non volontaire, mais comme innĂ©e, de se tenir Ă distance depuis sa voix mĂȘme dans lâĂ©paisseur des Ă©vĂ©nements. Il dĂ©clare notamment Je mây suis pris dâun ton dĂ©sinvolte, suffisamment vague pour ne pas lâinquiĂ©ter. Jâai choisi de continuer comme si rien nâĂ©tait advenu la nuit prĂ©cĂ©dente. » Diriez-vous que cette maniĂšre de se tenir comme Ă lâĂ©cart de soi, depuis sa propre Ă©nonciation, fonde votre personnage et plus largement prend lâestrangement comme loi narrative mĂȘme ? Est-ce que vous seriez dâaccord pour affirmer que tout se passe comme si sa vie se tenait Ă lâextĂ©rieur de lui, dans une distance non critique mais ontologique dont chacun fait porte la marque ? Je ressens trĂšs fort cette notion de coupure entre les ĂȘtres, et plus prĂ©cisĂ©ment, la coupure entre le narrateur, Jean Seghers, et les situations vĂ©cues par lui. Disons que ce personnage du narrateur se prĂ©sente sous quelques traits, qui sont censĂ©s dĂ©finir un peu de lui-mĂȘme, je dirais avec le strict nĂ©cessaire. Il a enfilĂ© les habits de pompiste, il a des comportements personnels liĂ©s Ă sa situation affective vis-Ă -vis de sa femme Remedios, aussi dans sa relation avec son entourage, et câest tout. Il est au plus prĂšs des Ă©vĂ©nements, quâil suscite parfois en fonction du contexte, mais une chose est certaine, il Ă©tablit une distance avec lâaction, et il agit avec froideur face Ă son entourage. Il nâest nullement question Ă ce titre de commentaire critique de la sociĂ©tĂ©, par exemple. Tout cela câest en toile de fond. Câest sans doute ce qui provoque lâisolement du narrateur dâautant plus prĂ©sent quâil vit les Ă©vĂ©nements sous la forme gĂ©nĂ©rale dâune certaine indiffĂ©rence. Ce qui le place, Ă mon sens, hors du jeu, alors que, paradoxalement, il en est le foyer incandescent. Je dois, ici, prĂ©ciser que je ne dĂ©veloppe pas ce que ressent le narrateur. Je pense que cet Ă©cart entre lui et lâĂ©vĂ©nement, dont il est proche malgrĂ© tout, est non seulement nĂ©cessaire mais indispensable au traitement de la situation. Ce qui range Jean Seghers dans une position inamovible. Cette position me permet, quand jâĂ©cris, de conduire lâhistoire. Ce nâest pas Jean Seghers qui va mâĂ©clairer sur la scĂšne que je dois projeter, au contraire, il mâĂ©chappe, et cet endroit oĂč il mâĂ©chappe est le fossĂ© qui le sĂ©pare des situations vĂ©cues par lui. La parole dâĂ©trangetĂ© de Jean Seghers ne surgit en vĂ©ritĂ© comme telle quâĂ la faveur, comme dans vos prĂ©cĂ©dents rĂ©cits, dâun subtil contraste celui de sa propre capacitĂ© Ă ne pas adhĂ©rer au rĂ©el. De fait, sa femme Remedios et lâenquĂȘtrice au nom prĂ©destinĂ© de Hunter se posent en contrepoint radical au narrateur fĂ©minines, perspicaces et critiques, elles sâoffrent comme autant dâantithĂšses Ă lâhĂ©bĂ©tude et le caractĂšre presque hagard de Seghers. Ma question sera double ici en quoi, tout dâabord, vous apparaissait-il nĂ©cessaire, afin de souligner la singularitĂ© de votre protagoniste, de le confronter Ă des figures si opposĂ©es ? Lâessentiel rĂ©side dans la confrontation. Au dĂ©part, Seghers ne fait rien dâautre quâobserver, regretter, rĂ©flĂ©chir. Progressivement cependant, il entre en contact, puis câest la rupture brutale. Vous parlez de deux protagonistes, ce sont deux femmes, et je ne vois personne dâautre quâune femme pour le confronter Ă ses propres difficultĂ©s. Sa femme, il la soupçonne. Et lâinspectrice en assurances, il cherche Ă la subvertir. Il entre alors, Ă mon sens, dans un domaine qui nâest plus le sien. Il comprend parfaitement, mais en aveugle, ce que dit Hunter, oĂč elle veut en venir, et il gĂšre dans une certaine mesure la situation. MĂȘme sâil y apparaĂźt bien naĂŻf et le plus souvent ridicule. Quâimporte, il continue. Il en va autrement avec Remedios, sa femme, chez qui la fidĂ©litĂ© fait apparemment dĂ©faut, et que jâai quant Ă moi, en tant quâauteur, relĂ©guĂ©e dans lâombre, et lĂ , câest le retour de la question qui ne concerne plus Jean Seghers, mais lâauteur-narrateur. Ma seconde interrogation porte sur la question parfois trĂšs vite, trop rapidement avancĂ©e, de lâironie au sujet de vos romans on a ici le sentiment quâau contraire, Seghers, loin dâavoir une attitude ironique Ă lâĂ©gard de ce qui lâentoure, est au contraire totalement littĂ©ral. En seriez-vous dâaccord ? Je dois envisager le fait que le personnage sâinstalle progressivement dans lâĂ©criture, quâil y prend sa place en se dĂ©finissant. LâĂ©volution du rĂ©cit, câest les actes de Jean Seghers, et rien dâautre. Ces actes produisent une infinitĂ© de consĂ©quences, mais je dois dire quâil nâest pas conscient de cela. Tout ce qui serait pensĂ©, par exemple lâironie, est mis de cĂŽtĂ©. Seuls les actes comptent. Câest ainsi quâil se dĂ©finit. Il nâa aucun recul, il avance et il dresse des plans, contourne les obstacles et vit une existence matĂ©rielle, peuplĂ©e de rendez-vous, de problĂšmes de gestion, de rapports domestiques. La coupure, câest plus tard, quand il enfreint la rĂšgle, jâavais dit la Loi. Sâagissant toujours des personnages, arrĂȘtons-nous un instant si vous le voulez bien sur le choix des noms des personnages. Chacun apparaĂźt comme une profonde singularitĂ©, comme si chaque nom dĂ©paysait lâautre. La femme se prĂ©nomme Remedios comme la peintre cubaine Remedios Varos, lâenquĂȘtrice sâappelle littĂ©ralement Hunter, solitaire et chasseresse comme le titre du roman de Carson McCullers ou encore le prĂ©sident du tribunal de commerce sâappelle Walden comme le personnage de Henry David Thoreau. Sâagissait-il pour vous de proposer, au-delĂ du clin dâĆil et de lâĂ©vident aspect ludique, une clef de lecture possible de chacun des personnages ? Je nâadopte un personnage que lorsque celui-ci, celle-ci sâimpose Ă tel point que⊠Mais pour quâil soit acceptĂ©, je dois lui trouver un nom, et ce nom, câest presque indĂ©finissable, aurais-je tendance Ă dire. Cela signifie que je dois le ressentir, et veiller Ă ce quâil ne se rĂ©sume pas Ă une clĂ© qui nous donnerait la solution. Mais il reste que tout nom est Ă©vocatoire, fait penser Ă quelquâun, Ă quelque chose, renvoie chacun Ă sa propre expĂ©rience. Je me permettrais de livrer ici que le nom participe de ma rĂȘverie dâauteur, et jâai le sentiment que je prĂ©lĂšve chez dâautres auteurs une part de leur gĂ©nie, Ă mon profit. Si vous me parlez de lâinspectrice en assurances, Hunter, je ne peux me sĂ©parer de Carson Mc Cullers, je pense Ă son roman Le cĆur est un chasseur solitaire, et je pense aussi Ă La nuit du chasseur de David Grubb. Je crois que ce dernier est un roman malĂ©fique. Ăvidemment, nous pouvons ajouter lâadaptation cinĂ©matographique, avec Robert Mitchum. Quand je mâapproprie ce nom, Hunter, jâai le sentiment de la phrase juste. Quelque chose dâinaliĂ©nable vient de se produire, je ne peux plus changer. Ă propos de Seghers, jâai regardĂ© plus tard, pour vĂ©rifier, qui fut Seghers, alors inutile de faire un croquis, le nom me plaĂźt. Concernant Carson McCullers, jâai dans un endroit privilĂ©giĂ© de ma bibliothĂšque, dans un recoin, ces deux autres auteurs il y a Ne tirez pas sur lâoiseau moqueur, Harper Lee, et il y a aussi Les braves gens ne courent pas les rues, Flannery Oâconnor. Ces trois romans sont un gisement inĂ©puisable. Ma question suivante voudrait revenir sur lâintrigue policiĂšre que nous Ă©voquions plus haut et qui donne Ă AdultĂšre son Ă©nergie narrative. Elle vient croiser une intrigue amoureuse ou plutĂŽt une intrigue de dĂ©ception amoureuse, celle dâun adultĂšre bientĂŽt Ă©vident de Remedios. Lâintrigue policiĂšre semble rĂ©pondre dâun double mouvement, celui qui, dans un premier temps, permet Ă Seghers dâourdir sa machination, puis dans un second temps, Ă rebours, celui de Hunter qui entend dĂ©couvrir le responsable de lâincendie quâelle estime dâemblĂ©e criminel. Pourtant, AdultĂšre ne sâĂ©puise jamais dans une quelconque formule policiĂšre. Tout paraĂźt plutĂŽt rĂ©pondre bien plutĂŽt Ă cette remarque de Hunter Je constate, Seghers, encore une fois, que vous laissez derriĂšre vous quantitĂ© de petites phrases souvent trĂšs vagues, presque incomprĂ©hensibles, sujettes Ă interprĂ©tation, qui peuvent ĂȘtre reçues Ă lâoccasion comme des menaces dĂ©guisĂ©es. » Diriez-vous ainsi quâAdultĂšre use dâune intrigue policiĂšre pour mieux interroger un rapport inachevĂ© Ă la rĂ©alitĂ©, un rapport oĂč ce ne sont pas tant les actes que le rapport mĂȘme au rĂ©el qui pose question ? Câest cette image qui mâapparaĂźt lâeffet boule de neige, pour donner un sens particulier Ă cette idĂ©e dâadultĂšre. DĂšs lors que, dans la cellule familiale, sâinstalle la trahison â si encore on dĂ©finit lâacte dâadultĂšre comme une trahison, ce dont je ne suis absolument pas certain â, tout sâaccumule autour du noyau faute, et tout se dĂ©veloppe Ă partir de cette perturbation. La boule de neige grandit chaque Ă©vĂ©nement y adhĂšre, alors, il nây a plus de place pour le reste, qui devient, dans lâĂ©criture secondaire, mais nĂ©cessaire lâintrigue policiĂšre. Et au bout du compte, lâextrĂ©mitĂ© de tout cela, câest la description, Ă force, de la personne de jean Seghers. Je pense quâun roman policier peut ĂȘtre construit de cette façon, mais cela ne signifie pas que le roman AdultĂšre soit un roman policier. Il nâest policier en rien. Le plus important, câest les agissements de tous ces gens convoquĂ©s par lâauteur, alors quâils nâont rien demandĂ©. Que lâun ou lâautre croise un moment donnĂ© la justice des hommes au sens large du terme, câest normal, câest le rapport Ă la rĂ©alitĂ©. Celle-ci est aussi judiciaire. Mais pas seulement. Ce qui ne manque Ă©galement pas de frapper Ă la lecture dâAdultĂšre, câest la puissance dâĂ©vocation des descriptions. Un imaginaire cinĂ©matographique se dessine ici notamment pour Ă©voquer cette station-service qui paraĂźt soudainement plus amĂ©ricaine que française. Et si les images se tiennent comme autant de trouvailles filmiques, câest aussi Ă un art serrĂ© du sĂ©quençage cinĂ©matographique quâemprunte votre Ă©criture, notamment dans les chutes des chapitres, leurs cliffhangers puis leurs relances au dĂ©but des chapitres suivants. Diriez-vous ainsi quâune part de lâimaginaire ainsi que lâart du dĂ©coupage tĂ©moignent chez dâune Ă©criture aux accents filmiques, inspirĂ©e du cinĂ©ma ? Je devrais utiliser, pour vous rĂ©pondre, le lexique du cinĂ©ma, comme vous le faites Ă juste titre, et câest explicite. Câest le problĂšme de lâimage. Jâen arrive Ă me dire que câest une succession dâimages que jâai dans les yeux, ou devant les yeux, et que je nâai dâautre ressource que le verbe pour transmettre ces images. Aussi, dans la mesure oĂč jâai lâintention de les transmettre, je me dois dâĂȘtre le plus prĂ©cis possible. Jâen arrive donc, de nouveau, Ă la genĂšse, câest-Ă -dire que je dois avoir vĂ©cu la situation de maniĂšre intime pour Ă©voquer en termes concrets le dĂ©roulement de ces images, qui peuvent ĂȘtre, je vous lâaccorde, cinĂ©matographiques. Jâattends donc pour avancer, en principe, que le souvenir se convoque de lui-mĂȘme, sans que je le force. Il y a, en prioritĂ©, cette image affective de la patronne de la station-service, qui apparaissait au milieu de la nuit quand je travaillais comme pompiste de nuit, et nous parlions, et jâen Ă©tais Ă©mu. La preuve. Ce que je veux dire, câest que le lecteur-trice nâest pas seul-e Ă lire le rĂ©cit en utilisant le filtre des codes cinĂ©matographiques, je crois que moi aussi, mais si je me rĂ©fĂšre Ă des romans qui prĂ©cĂšdent la naissance du premier film, je me rends compte que câest toujours ce mĂȘme filtre qui me sert dâoutil de lecture, et donc, dâinterprĂ©tation. Je me sens trĂšs Ă©loignĂ© des mĂ©tiers du cinĂ©ma, par exemple si on parle de scĂ©nario ou de story-board. Cela nâa rien Ă voir avec ma dĂ©marche. Je cherche la concision, mais dans la description, qui est Ă mon sens, une opĂ©ration mentale, dont je dois scruter lâefficacitĂ©, et la vĂ©ritĂ©. jâallais oublier, il y le rapprochement avec lâidĂ©e du montage. Enfin ma derniĂšre question voudrait porter plus largement sur le rĂŽle de lâimage dans votre Ă©criture. AdultĂšre sâouvre, on sâen souvient, sur deux images que contemple Seghers, deux photos de sa femme quâil scrute et qui exercent sur lui une fascination sourde â comme une Ă©nigme qui lui rĂ©siste. On ne peut manquer de penser Ă ce que vous Ă©criviez prĂ©cisĂ©ment au sujet de Bernard Plossu il y a peu ici mĂȘme dans Diacritik Les images ne connaissent pas de fin, elles happent la rĂ©alitĂ©, un coin de lâunivers, un dĂ©tail, qui leur confĂšre leur puissance, ainsi des atomes en train de se fissurer. Elles possĂšdent cette Ă©nergie miraculeuse du passant pris sur le vif, qui sâoffre au regard du photographe ou lui Ă©chappe, lâignore. » Diriez-vous ainsi que ces photos de Remedios, Ă lâentame du rĂ©cit, dĂ©clenchent par leur fascination lâintrigue mĂȘme dans laquelle Seghers se prĂ©cipite ? Au dĂ©but, oui, il est plutĂŽt question de lâimage photographique. Je nâentre pas dans les dĂ©tails car ce serait trop fastidieux, trop long. Mais câest Ă relever, et je nây suis pour rien, je veux dire que je nâavais aucune intention, en dĂ©but dâĂ©criture, concernant cette photo de sa femme⊠Je retiens votre question qui ouvre chez moi comme un mystĂšre. Je devrais pouvoir expliciter cela, mais ce sera incomplet je crois quâil y a dans cette photo une rĂ©alitĂ© qui se pose en tant que telle lâamour, Venise, la jeunesse, le regret et jâai besoin pour dĂ©marrer dâune rĂ©alitĂ© stable, dâun fondement. La photo sâest alors prĂ©sentĂ©e. Elle devient ce rectangle de papier glacĂ© qui contient un nombre infini dâinformations, qui, toutes conduisent vers la nostalgie, et câest cette idĂ©e qui a perdurĂ© la sensation du paradis perdu. Ce que je trouve cruel, câest que que cela sous-entend lâidĂ©e de faute originelle, et quand le narrateur passe son temps Ă manipuler cette image, surgissent quantitĂ© dâautres souvenirs qui vont de lâĂ©chec de son entreprise Ă lâĂ©ventualitĂ© de lâĂ©chec avec sa femme. Je crois alors que je tiens toute une histoire sous la forme dâun microcosme, et câest Ă mon sens le meilleur moyen de dĂ©crire Jean Seghers sans quâil ait Ă parler, Ă exprimer verbalement quoi que ce soit. Un second point, je crois que la photo contient tout le monde, je veux dire, tous les protagonistes ils ne sont pas nombreux, qui vont arriver. Elle est un condensĂ©, et puis câest lâimage dâune femme, cette femme est aimĂ©e, dĂ©sirĂ©e, voilĂ ce que je pourrais vous rĂ©pondre lâobjet photo se suffit Ă lui-mĂȘme. Il est idĂ©al car il mâĂ©vite tout commentaire. Ou si peu. Je rĂȘve de voir cette photo en vrai. Je rĂȘve de voir qui est cette femme, ainsi quâil advient parfois quand je regarde moi-mĂȘme nos photos. Jâai lâimpression que câest une ouverture. Yves Ravey, AdultĂšre, Minuit, mars 2021, 144 p., 14 ⏠50 â Lire un extrait
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1 Si la fiction contemporaine se laisse difficilement rĂ©duire Ă un seul paradigme, une rĂ©surgence attestĂ©e du mimĂ©tique, que ce soit en rĂ©gime autobiographique ou narratif, inflĂ©chit nĂ©anmoins le rapport du littĂ©raire au rĂ©el. Bon nombre de ces romans reconduisent sans complexe l'illusion romanesque, illusion dirait Henri Godard qui donne une prĂ©sence dans notre imagination Ă un monde qui imite notre monde sans se confondre avec lui » Godard, 2006 11. D'autres romans, ceux qui m'intĂ©ressent, revoient l'hĂ©ritage rĂ©aliste par le biais du paradoxe â du moins est-ce lĂ l'hypothĂšse Ă l'origine de ma rĂ©flexion â, oĂč il s'agit de reconduire la dimension mimĂ©tique du racontĂ© tout en tissant, en parallĂšle, sa dĂ©construction par des accrocs plus ou moins accusĂ©s Ă la vraisemblance. Ou, pour le dire autrement, d'instaurer une tension savamment entretenue entre l'illusion romanesque et sa dĂ©nonciation, l'exemple le plus probant de ces derniĂšres annĂ©es Ă©tant Histoire de Pi de Yann Martel 2002 qui rĂ©ussit Ă faire croire Ă cette odyssĂ©e d'un jeune homme en canot de sauvetage en compagnie d'un grand fauve, alors mĂȘme que ses interlocuteurs la mettent expressĂ©ment en doute. 2Je porterai Ă votre attention aujourd'hui deux fictions savantes qui exploitent deux axes de crĂ©dibilitĂ©, l'un contestant l'existence de Dieu alors que l'autre voudrait convaincre de l'existence du diable. Les jeux d'Ă©rudition autour d'un abbĂ© de l'an mil dans Si Dieu existe d'Alain Nadaud 2007, comme la structuration intertextuelle spĂ©culaire de Un homme dĂ©fait de Roger Magini 1995, permettent de dĂ©ployer tout un ensemble de stratĂ©gies autour de manuscrits anciens au statut ambigu qui prennent valeur d'artefact et viennent en quelque sorte authentifier la fiction. Encore renforcĂ©e, dans les deux cas, par la mise en scĂšne d'un Ă©crivain qu'on voit Ă©voluer dans son milieu, par la description prĂ©cise de lieux rĂ©els, par une intrigue plus ou moins foisonnante mais qui sollicite des schĂ©mas convenus â la liaison amoureuse, le dĂ©roulement chronologique, etc. â, l'illusion mimĂ©tique opĂšre pourtant Ă l'inverse lĂ oĂč Si Dieu existe sollicite constamment un vraisemblable gĂ©nĂ©rique pour la conforter, Un homme dĂ©fait n'a de cesse d'interroger le clivage entre la rĂ©alitĂ© et la fiction pour accrĂ©diter l'invraisemblable diĂ©gĂ©tique. 3On fait souvent de la fiction lettrĂ©e, celle qui sâĂ©crit Ă partir de la bibliothĂšque, le parangon dâune littĂ©rature postmoderne, Ă©mancipĂ©e dâune textualitĂ© intransitive et qui redĂ©couvre lâemportement narratif, comme lâaffirme Bruno Blanckeman qui note une attraction pour des illusions romanesques filtrĂ©es par une double mĂ©moire celle des modĂšles de fiction classiques dont se maintiennent les traditions [âŠ] ; celle de la distanciation spĂ©culaire, gĂ©nĂ©ralisĂ©e par une littĂ©rature moderne dont sont dĂ©noncĂ©es les apories mais assumĂ©s les acquis » Blanckeman, 2008 432. Il faut bien voir cependant que cette fascination du dĂ©jĂ -lĂ dĂ©passe le strict recyclage de formes et relĂšve tout autant dâun imaginaire de la trace authentique » Huglo, 2007 7 caractĂ©ristique de notre temps, qui cherche Ă rĂ©actualiser le passĂ©. Marielle MacĂ©, dans cette perspective, lie ce recours Ă la trace Ă une crise de lâintrigue Bien des proses contemporaines se nourrissent [âŠ] dâune culture considĂ©rĂ©e comme trĂ©sor collectif et espace de rĂȘverie Ă©rudite, câest-Ă -dire dâun imaginaire » de lâarchive plutĂŽt que dâarchives proprement dites langages rares, divertissements philologiques, objets vieillis, goĂ»t des documents dans leurs aspects les plus matĂ©riels reliques, photographies, papiers divers, etc., voluptĂ© de lâantique », comme disait Leiris, associent les livres brefs de Pascal Guignard, GĂ©rard MacĂ©, Pierre Michon notamment. Ces proses construisent autant de musĂ©es imaginaires, dâespaces synchroniques oĂč les objets trouvĂ©s voisinent comme dans un cabinet de curiositĂ©s MacĂ©, 2007 47. 4En marge de cet espace littĂ©raire qui se met en scĂšne dans une quĂȘte mĂ©morielle, mais redevables tout autant dâune pareille fascination du manuscrit â quâil soit inventĂ© ou réécrit â, les fictions de Nadaud et de Magini jouent dâune double posture qui rĂ©actualise le document sans rien sacrifier de la dynamique narrative et le fictionnalise par le jeu spĂ©culaire. Cette tension, au cĆur du procĂšs mimĂ©tique engagĂ©, met ainsi en relief, pour mieux les dĂ©construire, les procĂ©dĂ©s du vraisemblable. Un manuscrit inventĂ© Si Dieu existe d'Alain Nadaud 5Ce plus rĂ©cent roman de Nadaud, son douziĂšme, s'inscrit dans le droit fil d'une dĂ©marche cohĂ©rente, menĂ©e depuis les annĂ©es 1980, et qui explore de maniĂšre systĂ©matique les Ă©crits fondateurs de l'humanisme occidental pour en tirer des fictions irrĂ©sistibles de finesse et de sapience, mais rĂ©solument accessibles en vertu d'un art narratif rompu aux codes du prĂ©sent. Dans un article intitulĂ© Alain Nadaud voyage au centre de l'Ă©criture, l'Ă©criture au centre du voyage », Rosa Galli Pellegrini montre bien que l'ensemble de l'Ćuvre de Nadaud relĂšve d'une interrogation sans cesse relancĂ©e du patrimoine documentaire Il s'agit d'une rĂ©flexion constante sur l'Ă©laboration de la mĂ©moire historique Ă partir de documents, annales, chroniques et tĂ©moignages des contemporains tel est le matĂ©riau que l'auteur reproduit, cherchant des rĂ©fĂ©rences historiques vraisemblables, dans un foisonnement incessant de pastiches documentaires. L'auteur se prĂ©vaut d'une ample connaissance de la littĂ©rature philosophique et historique, qui le porte surtout Ă se mouvoir dans la pensĂ©e des prĂ©socratiques et dans l'historiographie post hellĂ©nique, qui lui permet de crĂ©er des fictions et des piĂšces Ă l'appui tout Ă fait acceptables. L'Ă©rudition devient ainsi un Ă©lĂ©ment principal de l'Ćuvre, quasiment un personnage Pellegrini, 2005. 6 Si Dieu existe relĂšve d'une pareille exigence, Ă la diffĂ©rence prĂšs qu'il s'agit ici de reprendre tout un pan de la tradition thĂ©ologique1. PrĂ©sentĂ© sous la forme d'une vie de Saint Anselme racontĂ©e par un de ses disciples prĂ©fĂ©rĂ©s, le texte, qui s'apparente Ă un codex mĂ©diĂ©val en huit livres », s'ouvre sur un avertissement, placĂ© en Ă©pigraphe Cette Vita Anselmi a Ă©tĂ© Ă©crite par Clermont de Chartrette. Qui cachera ce livre, le dĂ©truira ou effacera cette indication, qu'il soit anathĂšme, /amen » Nadaud, 20072. Un savant dosage de faits historiques attestĂ©s vient colorer la fiction Anselme Aoste, futur archevĂȘque de CantorbĂ©ry, a bel et bien Ă©tĂ© Ă la tĂȘte de l'Abbaye du Bec, en Normandie ; toute son Ćuvre thĂ©ologique cherche Ă fonder rationnellement la foi chrĂ©tienne, notamment en formulant plusieurs preuves de l'existence de Dieu. Son ouvrage majeur, le Proslogion, sert Ă rĂ©futer le moine Gaunilon, qui considĂ©rait que l'existence de Dieu Ă©tait indĂ©montrable. Une Vie de Saint Anselme, signĂ©e par le moine Eadmer, existe aussi bel et bien elle a Ă©tĂ© publiĂ©e en 1994 aux Ăditions du Cerf3. Tous ces Ă©lĂ©ments sont dĂ©veloppĂ©s par l'anecdote, qui recrĂ©e l'atmosphĂšre du monastĂšre du Bec et de son scriptorium, avant le dĂ©part d'Anselme Ă CantorbĂ©ry, lequel est accompagnĂ© dudit Eadmer, lui-mĂȘme rival du fictif Clermont de Chartrette, qui prĂ©cise Tu constateras, lecteur, si jamais tu as sous les yeux la Vita Anselmi que rĂ©digea Eadmer, qu'il y a grande diffĂ©rence avec celle que tu t'apprĂȘtes Ă parcourir. La sienne en est la version officielle, sainte et imagĂ©e, pleine de dĂ©votion, de propos Ă©difiants et billevesĂ©es. Elle est truffĂ©e de ces miracles dont il prĂ©tend avoir Ă©tĂ© le tĂ©moin, alors que pour se rengorger il nous abuse. [âŠ] La biographie d'Eadmer Ă©tant, sous ce rapport, une malfaçon, il est de mon devoir de ne pas renoncer Ă y faire contrepoids SDE 13-14. 7Lâinterpellation du lecteur vient encore renforcer lâillusion du rĂ©el en proposant un pacte Ă©nonciatif plausible Clermont de Chartrette lui-mĂȘme insiste sur la distance qui sĂ©pare son texte de celui dâEadmer â attestant du coup lâexistence rĂ©elle de la Vie de Saint Anselme rĂ©digĂ©e par ce dernier â, et incite son lecteur Ă juger de lâĂ©cart. Ce faisant, il dĂ©porte la question de lâauthenticitĂ©, le texte historique devenant une pure fiction, entachĂ©e par le recours au registre hagiographique, alors que sa propre Vita Anselmi prend des accents, sinon de vĂ©ritĂ© du moins de fiction vraisemblable, prĂ©cisĂ©ment par son ambition affichĂ©e de rĂ©tablir les faits. Cette posture Ă©nonciative mimĂ©tique se voit encore renforcĂ©e par deux traits la prĂ©sence dâun Ă©diteur » qui agit en quelque sorte comme une caution externe, et le registre autobiographique du narrateur qui vient fragiliser lâauthenticitĂ© de la fiction biographique dâEadmer, en faisant de Chartrette un tĂ©moin privilĂ©giĂ© de la vie dâAnselme en mĂȘme temps quâune victime dudit Eadmer, qui aurait tentĂ© de lui voler ses Ă©crits et de le discrĂ©diter auprĂšs de ses pairs. Cette imbrication des Ă©critures du bios, oĂč lâon atteste la valeur de la biographie par une inscription autobiographique, induit certes un brouillage de la frontiĂšre qui partage le rĂ©el de la fiction ; elle vient en outre, et de maniĂšre paradoxale, attester de la valeur de vĂ©ritĂ© de la Vita Anselmi du narrateur. Le fictif devient ainsi plus rĂ©el que le vrai. 8Ă cet Ă©ventail de stratĂ©gies qui accrĂ©ditent la fiction vient sâajouter une panoplie de procĂ©dĂ©s qui indexent le pastiche tout en le dĂ©nonçant de maniĂšre subtile. Un appareil de notes, parfois signĂ©es de l'Ă©diteur, vient Ă l'occasion prĂ©ciser une rĂ©fĂ©rence SDE 122, 134,147, 158, 182 ou signaler la postĂ©ritĂ© de l'argument ontologique d'Anselme SDE 18, confortant ainsi la part factuelle du rĂ©cit alors que d'autres notes reconduisent, Ă l'inverse mais en usant des mĂȘmes codes, l'existence inventĂ©e » du manuscrit de Clermont, en le situant parmi d'autres de ses Ă©crits, tout aussi fictifs il va sans dire SDE 144, ou en montrant la distance qu'il prend en regard du texte d'Eadmer SDE 230. 9Une pratique paratextuelle intitule systĂ©matiquement en italiques les segments narratifs sur le modĂšle des textes de l'Ă©poque, par exemple De l'animositĂ© qu'Eadmer voua Ă Clermont et de l'ignominie qui s'ensuivit » SDE 211, ou Abandonnant toute prĂ©vention, Anselme passe Ă l'acte » SDE 147, ou encore Des effets dĂ©lĂ©tĂšres que provoque l'existence de la pensĂ©e sur des esprits mal prĂ©parĂ©s » SDE 98. De tels intertitres, souvent ironiques, auraient pu laisser soupçonner l'existence d'un Ă©diteur qui serait intervenu sur le manuscrit et en aurait confirmĂ©, en quelque sorte in absentia, l'existence ; cet Ă©diteur, encore perceptible par les mentions rĂ©currentes, en dĂ©but et en fin de chapitre â Ici commence le livre premier » SDE 21 et Ici s'achĂšve le livre huitiĂšme » SDE 231 â, ne fait toutefois que reprendre des pĂ©riphrases du texte mĂȘme de Clermont ; au final, cette stratĂ©gie d'attestation se voit encore contrecarrĂ©e par le titre du roman, Si Dieu existe, alors qu'en principe nous lisons la Vita Anselmi de Chartrette. 10Enfin, un jeu de rĂ©fĂ©rences croisĂ©es, en latin et en français, vient renforcer le caractĂšre vraisemblable dudit manuscrit, tout en le minant par l'imbrication, encore une fois, du vrai et de l'inventĂ©. PersillĂ© d'expressions latines â les terreurs annoncĂ©es du millesimus annus SDE 21, la rĂšgle bĂ©nĂ©dictine ora et labora SDE 47, le clocher juxta moren prioris SDE 64 â ou de descriptions prĂ©cises de lieux ou d'activitĂ©s la salle capitulaire, le scriptorium, les codex cousus avec des fils tressĂ©s et recouverts de robustes couvertures en peau de cerf [SDE 190], le texte incarne littĂ©ralement l'atmosphĂšre de l'abbaye. Toutefois, le fameux et bien rĂ©el Proslogion d'Anselme, qui circula anonymement, d'abord intitulĂ© Fides quaerens intellectum [âŠ] puis, Ă partir de 1083, sous le titre Alloquium de ratione fidei, et enfin sous celui, dĂ©finitif, de Proslogion » SDE 158, cĂŽtoie un ouvrage inventĂ© intitulĂ© Sur la chute du diable, qu'il aurait rĂ©digĂ© car il croyait avoir Ă©tĂ© jouĂ© par Cadule » SDE 144, personnage de la fiction. 11Mais c'est sans conteste par le biais de l'anecdote que prend vĂ©ritablement corps l'Ă©rudition au-delĂ des allusions aux dĂ©bats philosophiques du Moyen-Ăge, au-delĂ des renvois aux dignitaires de l'Ă©poque, de Lanfranc Ă Becket, de Guillaume le Roux au chevalier Herluin, fondateur de l'Abbaye, l'histoire personnelle du fictif Clermont de Chartrette vient prendre Ă rebours l'autoritĂ©4 de la preuve ontologique d'Anselme. Ce moine orphelin, malgrĂ© son impiĂ©tĂ© avouĂ©e, deviendra le confident d'Anselme, qui cherchera Ă le convaincre de l'existence de Dieu par une preuve rationnelle ; mĂ©crĂ©ant et portĂ© Ă la luxure, il ira jusqu'Ă tuer ses tuteurs Cadule et Doremer, qui l'ont surpris en pleine activitĂ© de fornication amoureuse, actualisant ainsi une inversion de la pensĂ©e d'Anselme, qui consiste Ă considĂ©rer l'existence comme une propriĂ©tĂ© des objets ». Ainsi Ă©crira-t-il, en conclusion Cet ouvrage, Ă l'instant oĂč j'en rabats les ferrures, voilĂ que j'ai conscience [âŠ] que l'acte d'Ă©crire m'a ainsi donnĂ© corps, souffle, Ă©paisseur, et par consĂ©quent, Ă moi aussi une existence, dont au dĂ©part je n'Ă©tais pas si assurĂ© ; [âŠ] que grĂące Ă ce livre, [âŠ] je me retrouve avoir une rĂ©alitĂ©, qui n'est pas que passagĂšre ou fictive puisqu'elle s'est incarnĂ©e dans ces feuillets, grĂące Ă la preuve qu'ils apportent tant que cet opuscule sera lu, de mon existence nul non plus ne peut douter SDE 240. 12Lâironie se fait ici singuliĂšrement mordante. Ce pauvre moine de lâan mil, appliquĂ© sans succĂšs avec Anselme Ă restituer la fulgurance de la Parousie » SDE 138, aura du moins rĂ©ussi, strictement par lâĂ©criture, Ă sâincarner. LâautoreprĂ©sentation vient convaincre le personnage de sa propre existence et le dĂ©calque de lâarchive qui le fait advenir ne peut, Ă ce titre, ĂȘtre mis en doute. En affirmant de la sorte son statut de personnage de papier, le narrateur dĂ©construit lâĂ©difice mimĂ©tique quâil avait patiemment Ă©rigĂ© en reproduisant les codes discursifs et les conventions gĂ©nĂ©riques de lâĂ©poque, mais il renforce, ce faisant, son propos philosophique. L'enjeu de l'Ă©criture de Nadaud, semble-t-il, est de saturer cet Ă©cart qui va de l'imagination Ă la fiction, pour reprendre les termes de Jean-Marie Schaeffer, par le biais de la feintise ludique, qui double le rĂŽle cognitif de la reprĂ©sentation d'une fonction pragmatique Si la fiction implique une feintise ludique, [dit Schaeffer] [âŠ], le but du processus fictionnel ne rĂ©side cependant pas dans la feintise en tant que telle, dans l'imitation-semblant, mais dans ce Ă quoi elle nous donne accĂšs » Schaeffer, 2002. Le pastiche, ici, sert un argumentaire Ă somme nulle l'existence de Dieu, tout comme l'existence d'un pauvre moinillon abandonnĂ© par son maĂźtre, pillĂ©, humiliĂ© et meurtri par son rival, chassĂ© du cloĂźtre par ses frĂšres » SDE 240, ne peut s'affranchir de l'autoritĂ© des textes » SDE 237, qu'ils soient sacrĂ©s ou non. En dehors de l'Ă©criture, ni l'un ni l'autre n'ont d'existence. Un manuscrit réécrit Un homme dĂ©fait de Roger Magini 13 Si Dieu existe de Nadaud excelle au jeu du vraisemblable gĂ©nĂ©rique par un florilĂšge de stratĂ©gies qui en reconduisent l'ambition mimĂ©tique tout en l'inflĂ©chissant de maniĂšre subtile ; le roman de Roger Magini, Un homme dĂ©fait, entend plutĂŽt convaincre de l'existence du diable et joue ouvertement sur l'axe de l'invraisemblable diĂ©gĂ©tique. Au cĆur du propos, un manuscrit qu'un Ă©nigmatique Abbad Schatan s'approprie et transmet Ă des auteurs cĂ©lĂšbres â Borges, Sabato, Echo, etc. â, qui se voient ensuite condamnĂ©s Ă devenir aveugles et Ă tout reprendre, tout redire, d'une maniĂšre diffĂ©rente » Magini, 1995 1875. 14L'intrigue est foisonnante et prolifĂšre au grĂ© d'une structuration en miroir. Une premiĂšre partie, en six chapitres numĂ©rotĂ©s, instaure le cadre narratif rĂ©aliste alors que Charley Melrose, journaliste montrĂ©alaise Ă la pige qui prĂ©pare une sĂ©rie d'articles devant porter sur la vie d'un grand Ă©crivain, qu'elle intitulera MĆurs et coutumes d'une espĂšce originale scriba vulgarum HF 66, rencontre Ă plusieurs reprises Ă©crivain pour le moment en panne d'inspiration. Elle Ă©crit donc un texte sur ce lui-mĂȘme en train d'Ă©crire un roman mettant en scĂšne un personnage nommĂ© Vittorio Grisi HF 49 Je compris enfin, dira la narratrice, pour quelle raison pouvait croire Ă ses histoires elles devenaient rĂ©elles parce qu'il les organisait selon les lois du rĂ©el⊠» HF 53. Melrose et fument les mĂȘmes cigarettes, boivent le mĂȘme Jack Daniel's ; ils partageront une nuit d'Ă©mois sexuels, ils iront ensemble passer quelques jours dans les Adirondaks, ou encore Ă un cocktail organisĂ© par un richissime Ă©diteur. Et ils lisent les mĂȘmes livres Renaissance noire de Miklos Szentkuthy, le cĂ©lĂšbre Ă©crivain hongrois6, et la trilogie d'Ernesto Sabato â Le tunnel, Alejandra, qui contient le Rapport des aveugles », et L'ange des tĂ©nĂšbres. Je ne relĂšverai pas en dĂ©tail le substrat littĂ©raire qui nourrit lâanecdote ; je distingue ici strictement quelques-uns des Ă©lĂ©ments qui structurent la seconde partie du texte, intitulĂ©e Sans titre. 15Ce Sans titre s'avĂšre, dans les faits, un manuscrit en trois chapitres signĂ© et adressĂ© Ă la journaliste dans une grande enveloppe brune » HF 101. Il s'agit d'une histoire Ă©chevelĂ©e, absolument invraisemblable, oĂč relate sa relation avec Abbad Schatan, mystĂ©rieux antiquaire d'origine libanaise, libraire et Ă©diteur, qui lui propose d'Ă©crire, moyennant rĂ©munĂ©ration, un livre sur le monde des tĂ©nĂšbres HF 105. vulgaire gribouilleur » HF 44, va l'Ă©crire, rĂ©fugiĂ© au chalet des Adirondacks, et devenir, selon les termes du pacte, aveugle Finalement â je ne sus jamais si c'Ă©tait le jour ou la nuit â je dĂ©posai calmement ma plume. On n'imaginera jamais assez combien je fus heureux ou, peut-ĂȘtre, si le mot est trop fort, comment je me retrouvai dans cet Ă©tat, presque indĂ©finissable, proche de la fĂ©licitĂ©, qui me fit entrevoir que les mots avec lesquels j'avais Ă©crit et dans lesquels je m'Ă©tais reconnu avaient cessĂ© d'exister. / Le moment tĂ©nĂ©breux Ă©tait donc arrivĂ©. J'y Ă©tais enfin parvenu, envers tout et malgrĂ© tout⊠â les signes n'avaient pas menti. Alors la nuit m'envahit parfaitement et le silence devint insupportable HF 198-199. 16L'histoire du monde des tĂ©nĂšbres Ă©crite par enchevĂȘtre l'univers rĂ©aliste du texte7 et le monde fantasmagorique de Sabato et Borges en une sorte de polar Ă©rudit façon Umberto Eco, oĂč une mystĂ©rieuse comtesse aveugle nommĂ©e Nastassia Rakosy â ou n'Ă©tait-ce pas plutĂŽt Nastassia Cazador ? â meurt dans un accident Ă©nigmatique maquillĂ© en suicide en se jetant sous les roues d'une voiture. En une suite de coĂŻncidences inouĂŻes HF 184, cette Nastassia, fille d'un comte serbe ruinĂ© et d'une croate marquise vĂ©rolĂ©e » HF 132, adoptĂ©e Ă la mort de ses parents par un douanier amĂ©ricain qui avait aussi recueilli Vittorio Grizi le personnage du roman abandonnĂ© de â HF 138, deviendra la secrĂ©taire de Borges, Ă qui elle dĂ©robera son manuscrit de El libro de arena et sa correspondance avec le poĂšte aveugle Robert Graves, pour les revendre, avec l'original de la Lettre sur les Aveugles Ă l'usage de ceux qui voient de Diderot de 1749 et le manuscrit de Paradis perdu de John Milton que le poĂšte aveugle dicta Ă une de ses filles en 1667 » HF 153, pour les revendre, donc, Ă Abbad Schatan8. Au moment de son dĂ©cĂšs, ladite Nastassia projetait d'assassiner Ernesto Sabato, venu Ă MontrĂ©al pour une confĂ©rence, et d'ainsi venger Maria Iribarne Hunter » HF 154, personnage du roman Le Tunnel de Sabato. Ouf ! 17Ces pĂ©ripĂ©ties enchaĂźnĂ©es â et bien d'autres passĂ©es ici sous silence â, par leur caractĂšre rĂ©solument invraisemblable, semblent Ă©loigner Un homme dĂ©fait de toute prĂ©tention mimĂ©tique. Pourtant, deux Ă©lĂ©ments majeurs viennent motiver ce rĂ©cit, dirait Genette, et en assurer l'alibi causaliste » Genette, 1969 979. Sur le plan diĂ©gĂ©tique, tous les Ă©vĂ©nements sont ramenĂ©s Ă la figure d'Abbad Schatan, qui gĂšre le jeu et tire les ficelles, qu'il soit Ă Buenos Aires, rue Notre-Dame Ă MontrĂ©al ou Ă Beyrouth la cohĂ©rence de lâintrigue est ainsi assurĂ©e puisque chacun des scĂ©narios exploitĂ©s peut sâarrimer Ă une figure forte, Ă lâorigine de tous les dĂ©bordements. Mais c'est sans doute par la rĂ©flexion sur la rĂ©alitĂ© et la fiction qui revient en leitmotiv dans le discours du texte que s'opĂšre la motivation ; cette rĂ©flexion joue le mĂȘme rĂŽle que les thĂ©ories dans la fiction balzacienne, mis au jour par Genette Balzac, on le sait, a des thĂ©ories sur tout », mais ces thĂ©ories ne sont pas lĂ pour le seul plaisir de thĂ©oriser, elles sont d'abord au service du rĂ©cit elles lui servent Ă chaque instant de caution, de justification, de captatio benevolentiae, elles bouchent toutes ses fissures, elles balisent tous ses carrefours Genette, 1969 81. 18De fait, le rĂ©cit insiste constamment sur le peu de crĂ©dibilitĂ© des personnages dont on fait valoir le caractĂšre louche ou Ă©quivoque, comme il met de lâavant lâĂ©trangetĂ© des Ă©vĂ©nements relatĂ©s et lâaspect surprenant des dĂ©nouements. Ce faisant, il donne un poids supplĂ©mentaire de rĂ©alitĂ© Ă des incongruitĂ©s quâon ne peut justifier autrement que par lâexistence dâune conspiration qui traverse les Ăąges et les civilisations. Le scepticisme et la suspicion, rĂ©itĂ©rĂ©s Ă chaque dĂ©tour, attestent paradoxalement lâimprobable. En faisant du monde des livres un monde de tĂ©nĂšbres rĂ©gi par Abbad Schatan oĂč la rĂ©alitĂ© dĂ©passe l'entendement HF 180, 201, Un homme dĂ©fait montre que la littĂ©rature est une machination diabolique, un systĂšme parallĂšle » HF 112 menĂ© par des forces extĂ©rieures [qui] agissent sournoisement pour semer la confusion, l'entretenir et faire en sorte que des destins, si Ă©loignĂ©s soient-ils l'un de l'autre, se rejoignent Ă un moment donnĂ©, prĂ©visible » HF 130. 19Ces propositions mĂ©tadiscursives servent Ă dĂ©jouer la machination mais contribuent tout autant Ă la relancer. JumelĂ©es Ă la structure Ă©nonciative, qui emboĂźte les rĂ©cits, elles prennent figure de caution et permettent, paradoxalement, d'authentifier la rĂ©alitĂ© de la fiction. Tout comme Melrose, en premiĂšre partie, se fait garante de l'existence de celui-ci, dans son manuscrit, en reproduisant entre guillemets les rĂ©cits des autres protagonistes, reconduit en quelque sorte leur statut rĂ©aliste Bellaspina, le peintre italien, raconte comment la belle aveugle â Nastassia â s'Ă©tait proposĂ©e Ă lui comme modĂšle HF 124-130 ; un article de journal relate la biographie hongroise de la belle tout comme les circonstances de sa mort ; Abbad Schatan lui-mĂȘme rĂ©vĂšle les larcins de Nastassia, tout comme il avoue qu'elle est morte sous les roues de la voiture de son assistant Abel Coleman typographe10 ; Roberto Echo, sĂ©mioticien de son Ă©tat, explique comment un señor Abbadon, rencontrĂ© en Argentine, lui a proposĂ© d'Ă©changer le manuscrit du deuxiĂšme livre de la PoĂ©tique d'Aristote contre l'inĂ©dit de Borges HF 173-188. Ces rĂ©cits croisĂ©s attestent encore de la circulation de trois documents â le manuscrit de Borges El libro de arena et deux incunables dĂ©robĂ©s Ă la BibliothĂšque de France, le Speculum Historiale de Vincent de Beauvais, par Jean Hautfuney, Ă©crit sous la protection de Jean XXII en 1323, et l'Appendice Ă la SuprĂȘme Apocalypse de Jorge de Silos, par l'ineffable Sado de Klem datant de 132011. Tous les fils sont attachĂ©s et n'a plus le choix en recevant ces documents, il devra reprendre le flambeau » et Ă©crire Ă son tour selon l'injonction non signĂ©e transmise avec les documents Tout Ă reprendre. Tout Ă redire » HF 167. Cette intrigue enlevante, dont chacun des Ă©lĂ©ments est confirmĂ© â ou infirmĂ© â par des sources diffĂ©rentes, sollicite ainsi une vraisemblance pragmatique, dirait CĂ©cile Cavillac 199512, qui vient justifier la performance narrative en prĂ©cisant les circonstances de l'Ă©nonciation. La scĂ©nographie Ă©nonciative globale vient encore conforter le tout, alors que Melrose, aprĂšs avoir lu le manuscrit de dĂ©cide, en Ă©pilogue, de le ranger dans un endroit sĂ»r, Ă l'abri de la convoitise des voleurs et des fanatiques de toutes les couleurs » HF 201. 20La cohĂ©rence de la narration vient en outre neutraliser tous les effets de lâinvraisemblable et accentuer lâillusion mimĂ©tique, prĂ©cisĂ©ment par lâindexation constante des correspondances inĂ©dites, des coĂŻncidences inouĂŻes, des hasards inexplicables qui ne peuvent quâaccrĂ©diter, de maniĂšre paradoxale, lâexistence dâune machination. LâĂ©rudition, figurĂ©e et thĂ©matisĂ©e par le vol de manuscrits, en est le rouage essentiel lâimaginaire de la trace qui prĂ©side au rĂ©cit, encore dĂ©doublĂ© par la mise Ă lâabri du propre manuscrit de sous-tend la mise en intrigue dâune mĂ©moire de la littĂ©rature, nullement figĂ©e dans la bibliothĂšque, redynamisĂ©e par son inscription dans une histoire invraisemblable mais plausible, puisque construite Ă mĂȘme des schĂ©mas aisĂ©ment identifiables, et qui incarne, littĂ©ralement, la conception contemporaine de la littĂ©rature. Un homme dĂ©fait peut ainsi se lire comme une allĂ©gorie de l'intertextualitĂ©, une vĂ©ritable machination tĂ©nĂ©breuse qui dĂ©possĂšde les livres et leurs auteurs, les premiers destinĂ©s Ă la cuve oĂč le pilon les broie » HF 164, et les seconds emportĂ©s dans une spirale d'oĂč ils ne s'Ă©chapperaient jamais » HF 164, prenant conscience que les livres qu'ils avaient Ă©crits n'Ă©taient pas les leurs, qu'ils s'Ă©taient appropriĂ©s ceux des autres et rĂ©ciproquement » HF 164. Borges ne disait pas autre chose. ă â ă 21VolĂ©s, dĂ©truits ou transmis, authentiques, apocryphes ou canoniques, les manuscrits et autres incunables mis en scĂšne dans les deux romans Ă l'Ă©tude endossent une double fonction, volontiers contradictoire, Ă la fois garants de la rĂ©alitĂ© et dĂ©clencheurs d'imaginaire. Ces fictions du non-fictif » â pour reprendre en la dĂ©tournant l'expression de Jean Rousset Ă propos du roman Ă©pistolaire Rousset, 1962 75 â engagent la littĂ©rature du cĂŽtĂ© de la réécriture, la prĂ©sentant comme un jeu de piste oĂč il s'agit d'apprĂ©cier les finesses de la reprise et l'ampleur de la visĂ©e. Pastiche ou allĂ©gorie, ces fictions Ă©rudites construisent des intrigues de second degrĂ©, ficelĂ©es avec aisance, et qui reconduisent l'illusion romanesque. 22En s'inscrivant dans la trace du manuscrit, Si Dieu existe et Un homme dĂ©fait miment la rĂ©alitĂ© du dĂ©jĂ -Ă©crit et l'enjeu de vraisemblance rĂ©side tout entier dans la question de la transmission du savoir. Dans les deux cas, un narrateur lettrĂ© construit un univers diĂ©gĂ©tique Ă mĂȘme des Ă©lĂ©ments prĂ©existants, qu'il se targue de rĂ©vĂ©ler la vĂ©ritĂ© par le biais du tĂ©moignage direct, ou qu'il prĂ©tende avoir Ă©tĂ© le jouet d'une force supĂ©rieure. Dans les deux cas, une tension s'instaure entre l'illusion du rĂ©el et sa dĂ©construction, que ce soit, comme on l'a vu, par un savant dosage de rĂ©fĂ©rences Ă des documents historiques et inventĂ©s, par un souci des conventions gĂ©nĂ©riques ou diĂ©gĂ©tiques de l'hypotexte, par une interrogation figurĂ©e et sans cesse relancĂ©e du partage entre la rĂ©alitĂ© et la fiction. Dans les deux cas, le vraisemblable est dĂ©gagĂ© du rapport au rĂ©fĂ©rent et versĂ© tout entier du cĂŽtĂ© de l'Ă©nonciation, dans la mesure oĂč, comme le dirait Fiona McIntosh, l'ambition du romancier n'est pas de donner l'illusion de l'existence effective des faits racontĂ©s dans la diĂ©gĂšse romanesque, mais plutĂŽt de nous faire croire en l'existence d'un narrateur qui Ă©tablirait le plus fidĂšlement possible les faits » 2002 149. 23En se plaçant ainsi sous le patronage de textes antĂ©rieurs, les deux romans remettent en cause, de maniĂšre distincte, la notion d'autoritĂ© narrative. Le pur hasard, Ă moins qu'il ne faille y voir une machination tĂ©nĂ©breuse, a fait que l'un d'entre eux s'intĂ©resse Ă l'existence de Dieu en contestant systĂ©matiquement toute forme d'autoritĂ©, qu'elle soit spirituelle ou textuelle, alors que l'autre fait du diable l'autoritĂ© suprĂȘme, qui gĂšre l'intĂ©gralitĂ© du patrimoine littĂ©raire. Notes 1 Deux romans antĂ©rieurs de Nadaud, Lâiconoclaste 1989 et Le livre des malĂ©dictions 1995, exploraient dĂ©jĂ lâhĂ©ritage religieux. 2 DĂ©sormais, les renvois Ă la mĂȘme Ă©dition de ce roman seront signalĂ©s par la mention SDE suivie du numĂ©ro de page. 3 Comme nous l'apprend une note de l'Ă©diteur Un peu moins d'un siĂšcle aprĂšs la mort d'Anselme, la biographie de Clermont de Chartrette avait Ă©tĂ© mise de cĂŽtĂ©, et oubliĂ©e. C'est sur celle d'Eadmer, ainsi que sur les ouvrages de Jean de Salisbury et de Gilbert Crispin, que Thomas Becket, devenu Ă son tour archevĂȘque de CantorbĂ©ry, se fonda pour entamer un processus de canonisation » SDE 14, note 1. Voir aussi la note 2 de la page 230. Pour un compte rendu rĂ©el » du texte d'Eadmer, on lira Jean-Claude Breton 1995. 4 Une autoritĂ© dĂ©clinĂ©e ici sous toutes ses formes, de l'autoritĂ© de la RĂ©vĂ©lation Ă celle des PĂšres de l'Ăglise, de l'autoritĂ© des textes Ă l'autoritĂ© du magistĂšre, de celle du trĂŽne d'Angleterre Ă l'autoritĂ© papale, etc. ; figurĂ©e, thĂ©matisĂ©e, l'autoritĂ© se voit souvent ironisĂ©e Or, c'Ă©tait bien dans l'obscuritĂ© de nos pauvres esprits que cette tentative avait vu le jour. MalgrĂ© la mĂ©diocritĂ© de nos conditions d'existence, voilĂ que nous autres, ĂȘtres chĂ©tifs et imparfaits, affaiblis par les privations, assaillis par les morsures du froid comme par la dent des loups, qui avions le corps couvert d'engelures, de piqĂ»res d'insectes et de plaies suppurantes, [âŠ] voilĂ que, sans le secours des livres et avec les seuls moyens de notre intelligence, nous nous apprĂȘtions Ă dĂ©montrer la rĂ©alitĂ© de Dieu en sa gloire, le pur Ă©clat de Celui qui est, infini, et de toute Ă©ternitĂ© » SDE 137-138. 5 DĂ©sormais, les renvois Ă la mĂȘme Ă©dition de ce roman seront signalĂ©s par la mention HD suivie du numĂ©ro de page. 6 OrthographiĂ© ici avec un h supplĂ©mentaire, Szentkhuthy, renvoyant en clin d'Ćil Ă l'orthographe de Schatan. Miklos Szentkuthy 1908-1988, que l'on compare souvent Ă Joyce, a publiĂ© entre autres, outre Renaissance noire paru aux Ăditions PhĂ©bus 1991, En lisant Augustin 1996 et Robert baroque 1998 parus chez Corti. 7 Notamment par le rappel d'Ă©vĂ©nements de la premiĂšre partie, tels le travail de Ă la maison dâĂ©dition ses rencontres avec Melrose, son dĂ©mĂ©nagement, la soirĂ©e chez l'Ă©diteur, le chalet de Blue Montain Lake, etc. 8 Avant de mourir sous les roues de la voiture, cette belle Nastassia s'Ă©tait fait peindre nue mais avec des lunettes d'aveugle par l'ami de le peintre Bellaspina, tableau qui se retrouvera Ă la boutique Antiques et Incunables que tient Abbad Schatan Ă MontrĂ©al HF 143. Pour les dĂ©tails de la vie de cette Nastassia fictive, voir HF 182-183. 9 Rappelons briĂšvement que Genette, dans son cĂ©lĂšbre Vraisemblance et motivation » extrait de Figures II, distingue trois types de rĂ©cits le rĂ©cit vraisemblable, Ă motivation implicite, le rĂ©cit motivĂ© par des justifications plus ou moins restreintes, et le rĂ©cit arbitraire, sans motivation, pour ne retenir en bout de course qu'une seule distinction pertinente, celle du rĂ©cit non-motivĂ© qu'il soit vraisemblable ou arbitraire et du rĂ©cit motivĂ© Genette, 1969 98-99. 10 Abel Coleman [prĂ©cise encore le texte], digne reprĂ©sentant de la lignĂ©e des Koloman, instigateurs devant l'Ăternel de l'attentat contre le bon roi BĂ©la II l'Aveugle, selon toute vraisemblance, et que je tairai, n'ayant ni le temps ni le courage d'aborder ce pan de l'histoire hongroise » HF 162. 11 Le premier existe bel et bien, le second est pure invention ironique. 12 MĂȘme s'il ne s'agit que de sacrifier de façon plus ou moins ludique Ă une formalitĂ©, il faut justifier la performance narrative au nom du principe que l'on ne peut rapporter que des choses que l'on a apprises, en un mot, assurer au rĂ©cit une vraisemblance pragmatique, qui ne se confond ni avec la vraisemblance empirique des Ă©noncĂ©s, ni avec leur vraisemblance diĂ©gĂ©tique. Alors que la deuxiĂšme porte sur la conformitĂ© Ă l'expĂ©rience commune, mesurĂ©e Ă l'aune de la raison et/ou de l'opinion, et la troisiĂšme la cohĂ©rence de la mise en intrigue, la premiĂšre concerne la fictivitĂ© de l'acte de narration mode d'information du narrateur, circonstances de l'Ă©nonciation » Cavillac, 1995 24. Bibliographie BLANCKEMAN, Bruno 2008, Retours critiques et interrogations postmodernes », dans MichĂšle TOURET [dir.], Histoire de la littĂ©rature française du XXe siĂšcle, tome II aprĂšs 1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 425-491. BRETON, Jean-Claude 1995, Eadmer, moine de CantorbĂ©ry, Histoire des temps nouveaux en Angleterre. Vie de saint Anselme, dans L'Ćuvre de saint Anselme de CantorbĂ©ry, tome 9, traduction française par Henri Rochais, Paris, Cerf, 423 pages », LTP Laval thĂ©ologique et philosophique, vol. 51, n o 2, p. 471-472. CAVILLAC, CĂ©cile 1995, Vraisemblance pragmatique et autoritĂ© fictionnelle », PoĂ©tique, n o 101 fĂ©vrier, p. 23-46. 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Elle mĂšne prĂ©sentement, avec AndrĂ©e Mercier de l'UniversitĂ© Laval, une recherche qui porte sur l'autoritĂ© narrative dans le roman et poursuit, avec Robert Dion de l'UQAM, l'Ă©tude du discours biographique. Pour citer cet article Frances Fortier 2009, Le roman mimĂ©tique Ă la lumiĂšre de l'invraisemblable », dans temps zĂ©ro, nÂș 2 [en ligne]. URL [Site consultĂ© le 10 May 2019].Les journalistes parlent au nom de la France, les journalistes parlent au nom des Français en permanence ; regardez la tĂ©lĂ©vision, ils prennent toujours Ă partie les Français en disant les Français pensent que On parle de nous Ă coups de sondages en permanence, on est sondĂ©s en permanence, on sait que les sondages sont faux, et toute lâargumentation des StĂ©phane Domeracki, enseignant au lycĂ©e Galatasaray dâIstanbul. Auteur de Heidegger et sa solution finale et des Nouveaux essais sur lâentendement inhumain, propose un droit dâinventaire de lâĆuvre dâHeidegger et des Ă©crits qui minorent sa violence. Ă paraĂźtre 100 reproches Ă Jackie Derrida. Spectres de Heidegger , une relecture des Ćuvres de GĂ©rard Granel, Reiner SchĂŒrmann ou Jean-Luc Nancy, Ă lâaune des derniers volumes de la Gesamtausgabe, par Friedrich-Wilhelm von Herrmann, co-auteur avec Francesco Alfieri de La vĂ©ritĂ© sur ses cahiers noirs, publiĂ© par Philippe Sollers, aux Ă©ditions Lâinfini, Retour sur les malversation du dernier assistant de Heidegger, Friedrich Von Herrmann Le 2 aoĂ»t 2022 fut annoncĂ© le dĂ©cĂšs de celui qui fut le dernier assistant de Martin Heidegger, Friedrich-Wilhelm Von Herrmann. Depuis 1972, il Ă©tait dĂ©signĂ© pour appliquer ses consignes secrĂštes pour lâorganisation de son Ćuvre dite intĂ©grale, la Gesamausgabe, dont les derniers volumes ne devraient plus tarder. Mais dĂ©jĂ , de nouveaux Ă©crits hors Ă©dition dite intĂ©grale sont annoncĂ©s, ne serait-ce quâun traitĂ© au nom ubuesque, Megiston. Il co-participe donc Ă la publication de ces Ă©crits tronquĂ©s, dont certains passages sont dĂ©libĂ©rĂ©ment censurĂ©s pour tromper. Il est toutefois prĂ©sentĂ© comme celui ayant menĂ© Ă bien une mission de superviseur scientifique » de cette Ă©dition, ce qui ne manque pas de sel si chacun veut bien se rappeler que la science ne pense pas. » Et du reste, le caractĂšre scientifique, scrupuleux, philologiquement parlant de cet ensemble, est tout Ă fait douteux, de toute façon. La carriĂšre de ce monsieur a commencĂ© en 1961, avec une thĂšse de doctorat, dirigĂ©e par Eugen Fink, portant sur lâauto-interprĂ©tation de Martin Heidegger. » Or, ne serait-ce que le volume contenant les auto-relectures de Sein und Zeit par le penseur dans les annĂ©es trente a Ă©tĂ© publiĂ© dans les annĂ©es 2000. Il sâagit presque de lâacte fondateur de tous les travaux de ses admirateurs depuis cinquante ans prĂ©tendre proposer des Ă©crits dâexpertise en nâayant pas accĂšs Ă tout le corpus. Ou bien alors ils y avaient accĂšs, et alors, cela signifie quâils Ă©taient mis au parfum concernant les textes les plus infects, mais devaient jurer de ne pas en dire un mot. Dans tous les cas, Von Herrmann faisait partie du cercle des trĂšs proches cooptĂ©s, qui, comme le peu regrettĂ© François FĂ©dier en France, Ă©taient volontaires pour mener Ă bien une entreprise de malversation intellectuelle durable, par laquelle la sigĂ©tique heideggerienne faisait son trou. Les dommages causĂ©s par de telles activitĂ©s sont considĂ©rables, de tels auteurs Ă©tant rĂ©guliĂšrement pris au sĂ©rieux et pour leur Ă©rudition dâapparat, et pour leur proximitĂ© magique au maĂźtre. Leur carriĂšre repose Ă chaque fois sur un mĂ©lange dâadmiration et de soumission pour cet auteur surnazi comprendre dont le nazisme trouvait les nazis effectifs trop mous ils produisent moults volumes au mieux acritiques et hagiographiques, au pire complĂštement dithyrambiques et mensongers; dans son cas une quinzaine dâopus et toute une nĂ©buleuse dâarticles et confĂ©rences pour cĂ©lĂ©brer celui qui trouvait nĂ©cessaire de criminaliser la juiverie ». De toute Ă©vidence, les heideggeriens orthodoxes », de stricte obĂ©dience, peuvent juste paraĂźtre ridicule, dĂ©sormais, la situation Ă©ditoriale rĂ©vĂ©lant avec une lumiĂšre trop crue lâampleur du naufrage de leur prophĂšte. Mais quelques hommages sont distillĂ©s pour rendre hommage au travail acadĂ©mique de F-W Von Herrmann, pour la simple raison que certains confondent lâacribie nĂ©cessaire au vrai travail philosophique avec des formes dâallĂ©geance perpĂ©tuelles, et les revues scientifiques deviennent alors des rubriques nĂ©crologiques ou des livres dâhommages. Un essai nĂ©gationniste cosignĂ© avec Alfieri La vĂ©ritĂ© sur les cahiers noirs Nous ne pouvions que nous amuser du titre de lâouvrage si journalistique, ce qui ne manque pas dâironie toute la vĂ©ritĂ© sur.. »! RĂ©vĂ©lation exclusive! Comme il se doit, les rĂ©dacteurs ne manquent pas de multiplier les pointes censĂ©es ĂȘtre sarcastiques Ă lâencontre des lecteurs critiques de leur idole comme Ă lâencontre des journalistes, ce qui est toujours une façon maline de se mettre les lecteurs philosophes » dans la poche, beaucoup Ă©tant acquis dâavance Ă la critique du journalisme, sans Ă©gards bien sĂ»r pour son rĂŽle primordial en dĂ©mocratie. Le Maestro de Brest Pascal David commet une postface, dans laquelle incite Ă traduire Judentum par gĂ©nie juif » il serait loisible dâĂ©clater de rire si le sujet nâĂ©tait pas aussi grave. La vĂ©ritĂ© sur les Cahiers noirs un tel titre prĂ©tend donc nous expliquer le fin mot dâun ensemble de notes dĂ©crĂ©tĂ©es marginales â en les mettant bien Ă part du reste des Ćuvres. Or, tout montre au contraire quâil nây a aucune distance entre les traitĂ©s Ă©sotĂ©riques comme les BeitrĂ€ge ou Lâhistoire de lâĂȘtre et ces carnets, les deux sâentre-alimentant bien au contraire. Que Von Hermann ait cru bon de tenter un tel cordon sanitaire en dit surtout long sur le caractĂšre dĂ©sespĂ©rĂ© de sa dĂ©marche, tant mĂȘme une lecture en diagonale suffit Ă en montrer lâinanitĂ©. Mais les tentatives de minoration comme celles dâeuphĂ©misation sont au fondement mĂȘme de toutes les carriĂšres universitaires ou non qui se sont faites Ă la file de cette mĂ©tapolitique de lâextermination. Les horreurs qui se trouvent dans les Cahiers noirs sont du reste bien devenues des volumes de la Gesamtaugabe, dans les derniers volumes, comme sâils Ă©taient plus ou moins son dernier mot, ses derniĂšres consignes. Lâessai de Von Hermann et AlfiĂ©ri est une aberration, un dĂ©lit dâinitiĂ©, avec faux et usage de faux traductions approximatives et orientĂ©es, textes tronquĂ©s, et surtout, oubli volontaire de tous les renvois aux traitĂ©s Ă©sotĂ©riques le but Ă©tant, câest patent, de chercher Ă les nâai pas lu une ligne concernant lâimportant tome 69, en particulier le passage censurĂ© par le fils Heidegger et Peter Trawny, lequel est dĂ©cisif celui oĂč Heidegger sâinterroge sur la prĂ©destination particuliĂšre de la communautĂ© juive mondiale au crime planĂ©taire ». Bien plutĂŽt les deux auteurs cherchent Ă appuyer les critiques violentes contre lâAmĂ©ricanisme et la chrĂ©tientĂ© â comme si elles nâĂ©taient pas intimement liĂ©es dans le dispositif historial », destinal » de la pensĂ©e de lâĂȘtre Seyn Alfieri et son acolyte nous intiment de ne comprendre des passages entiers des Cahiers noirs quâĂ partir dâautres passages des Cahiers noirs, dont ils multiplient les traductions alors mĂȘme que, par ailleurs, ils exigent de tout lecteur probe » de ne les lire quâen connaissant tous les autres volumes prĂ©cĂ©dents. Mais comme câest curieux, ils nây renvoient jamais. Câest pourtant lâunitĂ© de la pensĂ©e suprĂ©maciste de Heidegger quâil faut comprendre. Par exemple, nous allons le voir ne comprendre lâexpression principe barbare » quâĂ partir dâautres occurrences de ce terme, en arguant quâils ne se trouvent pas dans les autres volumes de la GA tactique minable mais qui peut sembler judicieuse pour dĂ©fendre sottement les autres volumes plus indirects dans leurs attaques antisĂ©mites. On imagine le brainstorming intensif pour trouver un moyen de montrer quâen ces passages, Heidegger nâappellerait pas en vĂ©ritĂ© Ă une cessation des demi-mesures » dont il accusait les nazis lors des annĂ©es trente, oĂč il estimait leurs tergiversations trop mollassonnes Ă son goĂ»t.. Le propos grotesque de FĂ©dier, lors dâune confrontation avec Faye, selon lequel barbare » ne serait pas un terme apologĂ©tique, a donc encore de beaux jours devant lui. Von Hermann et son ami italien se sont posĂ©s en continuateurs. Il a mĂȘme Ă©tĂ© tentant pour lui de se poser en interlocuteur privilĂ©giĂ© â au mĂȘme titre que Barbara Cassin qui semble ne sâĂȘtre jamais remise de sa rencontre avec le maĂźtre ; ainsi Von Hermann nous incite Ă lire sa correspondance moisie avec son idole, laquelle nâapporte strictement rien aux enjeux vĂ©ritables des Cahiers noirs. Câest plus fort quâeux il y a mĂȘme une photo, presque dĂ©dicacĂ©e, dans le plus pur style 52 photographies de Heidegger par FĂ©dier. Le phĂ©nomĂšne des groupies nâest pas propre quâaux stars du Rock. Les heideggeriens se serrent les coudes dans lâadoration, et nous prennent mĂȘme pour des imbĂ©ciles en faisant semblant de se quereller ; ça et lĂ dans lâessai, quelques piques Ă Peter Trawny, â dâautres juste de circonstances Ă Di Cesare ou Faye; il ne sâagit que de donner lâimpression de ne sâen prendre quâĂ celui qui a bien mal jouĂ© le rĂŽle du renĂ©gat, lequel ne propose pas les critiques les plus structurĂ©es et approfondies un adversaire commode, en somme. Les Ă©crits de Trawny constituent un tel false flag permettant de ne pas rĂ©pondre aux vraies critiques. Von Herrmann et Alfieri sur le nazisme comme principe barbare Ceux qui connaissent quelque peu la longue histoire du cas Heidegger connaissent une scĂšne assez fameuse de la confrontation qui avait eu lieu, dans lâĂ©mission tĂ©lĂ©visĂ©e BibliothĂšque MĂ©dicis, entre François FĂ©dier et Emmanuel Faye, reçus par le journaliste Elkabbach on pouvait assister, mĂ©dusĂ©s, Ă lâĂ©vocation par le premier, pour la premiĂšre fois, de mystĂ©rieux Cahiers noirs, oĂč Heidegger â le mythe Ă©tait lancĂ©- ne cesserait de faire montre de sa fameuse rĂ©sisance spirituelle envers le nazisme, que son traducteur satisfait nâavait pas hĂ©sitĂ©, Ă lâĂ©poque, Ă rendre par la traduction socialisme-national. Un passage en particulier Ă©tait scandĂ© sur un ton triomphant Heidegger critiquerait le nazi comme Ă©tant mĂ» par quelque principe barbare. Emmanuel Faye avait eu lâintelligence de rapidement poser la question de savoir si la locution Ă©tait bien pĂ©jorative sous sa plume â et FĂ©dier de rĂ©pliquer, indignĂ©, comme si cela Ă©tait Ă©vident, que cela est bien entendu!âŠLa seule certitude, câest que la mĂȘme impression que cela va de soi va nous ĂȘtre assenĂ©e par AlfiĂ©ri, dont la fonction, au nom de tout le corps professoral de bon aloi, est de nous montrer, mĂȘme si cela va de soi, que Heidegger, en aucun cas, nâoserait faire lâapologie du nazisme, en particulier dâun nazisme authentiquement liĂ© Ă quelque mission que ce soit, qui serait bien plus louable que, mettons, un national-socialisme quâil jugerait vulgaire. Commençons par situer la pĂ©nible tentative de blanchissement par AlfiĂ©ri; elle se situe seulement entre les pages 125 et 130 â elle est expĂ©diĂ©e dans la partie de lâouvrage oĂč il cherche Ă traiter Ă part tous les passages qui porteraient, suppose-til, sur le national-socialisme; sous-entendu si le mot nâapparaĂźt pas, câest quâil nâen serait pas forcĂ©ment question. Or, puisque Heidegger Ă©crit toujours par allusions, Ă mots couverts quand il critiquait trĂšs spĂ©cifiquement le rĂ©gime effectif, dans les annĂ©es trente, ne serait-ce que pour ne pas finir Ă Dachau en cas de perquisition; nous ne pouvons donc souscrire Ă ce premier Diktat hermĂ©neutique, le mĂȘme que celui qui concerne le judaĂŻsme, du reste, dont ce genre dâauteur se proposent complaisamment de considĂ©rer quâil nây aurait quâune dizaine de thĂ©matisations dans les Cahiers noirs et les autres Ă©crits de ces annĂ©es-lĂ . Quiconque a lu sĂ©rieusement Heidegger sait pertinemment que câest lâauteur qui use et abuse le plus de clins dâoeils permanents, sachant bien que sa visĂ©e ultime impliquerait une discrĂ©tion extrĂȘme de la part des protagonistes. Alors, mĂȘme sâil sâagit dâanalyser, et en cela, effectivement, de trier par types et thĂšmes les Ă©crits dâapparence dĂ©structurĂ©s de ces annĂ©es-lĂ , cela signifie surtout quâil faut relier entre les textes pour dĂ©plier leur sens. Alfieri ne se gĂȘne pas pour faire son petit assortiment, nous allons en faire autant, et chacun se fera son impression. Mais Ă©tudions dâabord ses propositions â â impositions, puisquâil dĂ©crĂšte que quiconque ne suit pas ses interprĂ©tations dĂ©choierait de ses reponsabilitĂ©s de philosophe, rien de moins. Dans son essai, le passage portant sur le principe barbare est prĂ©cĂ©dĂ© par un autre, non moins douteux, sur lequel toutefois AlfiĂ©ri passe trĂšs vite, oĂč il est pourtant Ă©crit de façon dĂ©cisive que le nazisme peut contribuer Ă Ă©tablir une nouvelle position fonciĂšre Ă lâĂ©gard de lâĂȘtre » Seyn Rien de moins. Au mĂȘme titre, disons, quâAristote, Leibniz ou Nietzsche. Sachant que le dernier terme, Seyn, constitue littĂ©ralement le Graal, le rĂ©fĂ©rent-maĂźtre de sa pensĂ©e, quâil nây a pas plus mĂ©lioratif sous la plume de Heidegger, on comprend pourquoi notre hermĂ©neute-en-chef dĂ©guerpit au plus vite face Ă la difficultĂ© insurmontable pour sa dĂ©monstration pro domo, et se hĂąte de passer au cas de la barbarie, pressĂ© quâil est dâexhiber ses petites trouvailles, lesquelles permettraient dâexonĂ©rer son hĂ©ros. De ce passage, donc, pas un mot, AlfiĂ©ri ne cherchant pas franchement Ă voir comment un rĂ©gime appelant au meurtre des Juifs pourrait, de quelque façon que ce soit, apporter de quoi surmonter lâontologie propre au premier commencement pervertit par lâhelleno-judĂ©ochristianisme. Il se dĂ©pĂȘche plutĂŽt vers le fameux Le nazisme est un principe barbare. Telle est son essence propre et son Ă©ventuelle grandeur » Grösse Dans mon ouvrage Heidegger et sa solution finale jâavais choisi de traduire plutĂŽt par potentielle grandeur, au sens oĂč, clairement, Heidegger a attendu quelque chose du nazisme, mĂȘme sâil lâa vite accablĂ© de ses sarcasmes privĂ©s. Nâoublions jamais que dans la republication aprĂšs guerre, en 1953, dâIntroduction Ă la mĂ©taphysique, il a bien sauvegardĂ© le propos final sur la mission intime du nazisme mĂȘme sâil semblerait quâil manque la derniĂšre page du cours dans le manuscrit⊠Le choix du terme Eventuelle a la mĂȘme fonction que la plupart des autres tentatives dâAlfiĂ©ri tout au long de son ouvrage euphĂ©miser, Ă nâen plus finir. Mais lâopĂ©ration de prestidigitation a lieu en un Ă©clair, il sâagit donc dâĂȘtre attentif, lorsque notre interprĂšte se hĂąte de cacher la poussiĂšre sous le tapis Il faut commencer par noter que la tournure le national-socialisme est un principe barbare » nâapparaĂźt pas ailleurs dans les Ă©crits de Heidegger » Ce qui est tout simplement faux, Ă moins, bien entendu, de dĂ©crĂ©ter que les lettres privĂ©es de Martin Heidegger ne sont pas des Ă©crits. Et ils seraient nombreux, en particulier le postfacier-pianiste Pascal David, Ă ĂȘtre tentĂ©s de vouloir expulser les lettres des oeuvres de Heidegger. Or, ce serait lĂ un acte grossier de dĂ©nĂ©gation, surtout que ce dernier a traduit et publiĂ© les lettres Ă Hannah Arendt, intĂ©grĂ©es Ă la prestigieuse collection Gallimard BibliothĂšque de philosophie comme celles Ă Blochmann â â ce qui ne sera pas le cas des Cahiers noirs, qui le seront Ă la collection Lâinfini, comme pour les mettre Ă part, alors quâil sâagit bien dâauthentiques volumes voulus dans la Gesamtausgabe. La liste des malversations Ă©ditoriales devient vertigineuse. Lâexpression douteuse qui nous intĂ©resse ici se trouve bien dans une lettre dĂ©cisive de la correspondance entretenue avec le sĂ©millant Kurt Bauch. Ce charmant nazi spĂ©cialiste dâhistoire de lâart, rĂ©sidant en Hollande mais traitant, dans une lettre, les NĂ©erlandais de harengs, -sans que son correspondant ne sâen offusque le moins du monde- a pu recevoir des mises au point dĂ©cisives de son Heidegger, notamment en ce qui concerne lâusage dâun Deckname comme Seyn. Ici, la locution est reprise mais lĂ©gĂšrement dĂ©placĂ©e, dans un extrait de correspondance quâAlfiĂ©ri et ses acolytes connaissent forcĂ©ment Le nazisme serait beau en tant que principe barbare â mais il ne devrait pas ĂȘtre aussi bourgeois » lettre du 7 juin 1936 Jâai soulignĂ© Ă dessein lâexpression employĂ©e, car, nous verrons, cela sera dĂ©cisif pour nous amener Ă faire ce quâil conviendra face Ă la tentative de lâinterprĂšte un soulĂšvement dâĂ©paule. Il cherchera en effet Ă jouer sur le sens du mot Grösse, grandeur, en montrant que ce terme Ă©tant par endroit pĂ©joratif sous sa plume, alors il ne sâagirait pas dâĂȘtre dans lâapprĂ©ciation de la mission interne du rĂ©gime. Mais nous y reviendrons. Contentons-nous pour lâinstant de constater la cohĂ©rence de Heidegger, lequel sâen prend rĂ©guliĂšrement au libĂ©ralisme des agents nazi, dont il dĂ©plore les tendances frileuses, petites-bourgeoises, Ă la demi-mesure y compris avec ses amis, voire son propre frĂšre. Mais revenons au pas en retrait de notre interprĂšte de lâuniversitĂ© de Latran, consistant Ă ne surtout pas prendre en compte les textes mettant en danger son montage Ă dĂ©charge. Fort de son dĂ©cret, il peut se proposer une mĂ©thode de travail pour le moins rĂ©volutionnaire, consistant Ă chercher les autres occurrences du mot barbare dans les Cahiers noirs, parce que, oui, câest bien entendu, cela va de soi, la comprĂ©hension de son usage ici en serait forcĂ©ment facilitĂ©. Et â divine surprise!- les usages de ce terme auraient tendance Ă le disculper, ou en tout cas Ă bien montrer tout le mal quâil pense, câest bien entendu, du nazisme. Bon. Ce nâest peut-ĂȘtre pas aussi simple et commode que le souhaite ardemment AlfiĂ©ri, nous allons le voir. Las lorsquâil se hĂąte dâĂ©voquer un extrait provenant volume 95, Martin Heidegger consigne par exemple que le sĂ©rieux de la pensĂ©e nâest pas lâaffliction et la rĂ©crimination sur des temps prĂ©tendument mauvais et sur une barbarie menaçante » nous nâavons pas franchement lâimpression que Heidegger ressente quelque gĂȘne que ce soit Ă lâĂ©gard du principe barbare Ă©voquĂ© plus haut, et du pĂ©ril que ferait peser le dĂ©ploiement de la barbarie dans divers camps dissĂ©minĂ©s dans le Reich. Il mâa mĂȘme tout lâair de lancer lĂ une invective Ă lâencontre de ceux qui, quelque peu effeminĂ©s, seraient refroidis par les rumeurs dâactes de barbaries qui nâont pas manquĂ© dâĂȘtre Ă©voquĂ©es ça et lĂ pendant les annĂ©es trente. Et si Alfieri ne choisissait pas Ă dessein les passages qui lâarrange, afin de perpĂ©trer la lĂ©gende grotesque dâun Heidegger rĂ©sistant il aurait pu Ă©voquer celui-ci, absent de ses interprĂ©tations, et pourtant bien prĂ©sent dans le volume 94 des Cahiers noirs sur lesquels il prĂ©tend se focaliser Le plus grand danger nâest pas la barbarie et la dĂ©cadence, car ces Ă©tats peuvent conduire Ă une plus haute issue â et ainsi Ă une situation dâurgence. » GA94, Loin de dĂ©plorer la torture de civils, la dĂ©portation de familles entiĂšres, et la multiplication des crimes odieux, Heidegger y voyait au contraire une voie vers la transition vers ce nouveau commencement dont il rĂȘvait tant, lui qui mettrait fin Ă lâengeance judĂ©o-chrĂ©tienne; Ă ses yeux, seule une crise violente permettrait le divorce total, sans quoi celle-ci se perpĂ©tue sous dâautres formes, dont le nazisme vulgaire en serait paradoxalement une forme insigne. Lâexpression plus haute issue est bien cohĂ©rente avec lâextrait de lettre Ă Bauch Ă©voquĂ© plus haut, et cadre surtout avec le topos du surpassement de la mĂ©taphysique quâil perpĂ©tuera tranquillement aprĂšs guerre, par exemple dans les extraits rassemblĂ©s dans Essais et confĂ©rences sous le nom de DĂ©passsement de la mĂ©taphysique. La suite du passage stipule que Le plus grand danger est la mĂ©diocritĂ© ambiante et lâordonnancement uniformisant avant tout â que ce soit sous la forme de lâactivitĂ© la plus vide, aussi bien que celle apparemment convenable, â mais qui ne participe de rien de plus que de lâhonnĂȘtetĂ© requise. » Bien entendu, il ne sâagit quâun de ces trĂšs nombreux tĂ©moignages oĂč nous voyons Heidegger fulminer contre la tendance Ă la demi-mesure Halbheit du rĂ©gime national-socialiste pendant les annĂ©es oĂč la solution finale nâĂ©tait pas encore mise en Ćuvre, et oĂč il dĂ©plore benoĂźtement le fait que les autoritĂ©s ne lui ont pas prĂȘtĂ© lâattention quâil est persuadĂ© de mĂ©riter de la part des autoritĂ©s, des SA et autres SS, lesquels, bizarrement, nâen avaient cure. Mais il sâagit surtout pour lui de se plaindre du manque de radicalitĂ© ambiante, lui qui sâattendait Ă une violente rupture avec ce qui avait cours avant lâarrivĂ©e au pouvoir dâAdolf Hitler. Le rationnel-socialisme lâexpression rageuse est de lui, ratio suggĂ©rant encore le calcul, lâescompte, lâenjuivement des divers protagonistes officiels le fait enrager, tant il nâatteint pas encore lâobjectif final qui seul permettrait de larguer les amarres loin du judĂ©o-christianisme, mais au contraire continue de consacrer son esprit enjuivĂ© de comptabilitĂ©. Partout, il ne voit Ă lâĆuvre que la mĂ©diocritĂ©, comme dans cet extrait plus tardif du volume 96, pas citĂ© non plus â câest ballot- par AlfiĂ©ri Le vraiment dĂ©paysant qui doit monter Ă lâĂ©poque de lâachĂšvement des temps modernes, câest-Ă dire de la dĂ©couverte, conquĂȘte et maĂźtrise de la terre, est le gigantesque de la mĂ©diocritĂ© en tout. Ainsi, chacun est protĂ©gĂ© mais est aussi en mĂȘme temps utilisĂ© comme moyen du pouvoir. La culture » qui est mĂȘme dĂ©jĂ une formation moderne et la barbarie » valent autant, indĂ©pendamment de leurs diffĂ©rences, lâune tenant lieu de lâautre. Ă partir de lĂ , tout le passĂ© est en consĂ©quence recalculĂ© de façon Ă exprimer les buts » posĂ©s » du futur ». Ainsi, cette crainte se grave dans lâinfantilisme qui craint une Ă©poque de la barbarie ». Dâautant plus quâelle ne viendra pas. »GA96, p. 201 La barbarie ne semble effroyable aux yeux de Heidegger quâen tant quâelle ne se dĂ©ploiera jamais vraiment, ce quâil a lâair de vivement regretter, tant, pour des raisons punitives, il aimerait quâelle soit infligĂ©e Ă ceux qui ne font que renforcer ce qui est selon lui son envers â la culture. Notons au passage quâil touche ici Ă une extrĂ©mitĂ© rouge-brune bien dure Ă admettte, y compris par moi-mĂȘme, puisquâil est difficile de ne pas penser Ă lâaffirmation de Walter Benjamin selon laquelle il nâest pas de tĂ©moignage culturel qui ne soit en mĂȘme temps tĂ©moignage de barbarie. Mais pour ne mettre personne mal Ă lâaise, et parce quâil nâest pas vraiment question de cela ici, contentons-nous plutĂŽt de songer Ă ce sinistre nazi qui Ă©tait tentĂ© de sortir son revolver chaque fois quâil entendait le mot culture. Le terme est plus violemment attaquĂ© par Heidegger que le mot qui nous intĂ©resse ici finalement, barbarie semble utilisĂ© en un sens bien plus laudatif que Kultur, terme honni par tout national-socialiste, quâil soit vulgaire ou spĂ©culatif, comme nous le voyons. Mais Francesco Alfieri, prenant bien soin de ne pas Ă©voquer les textes qui fĂąchent, prĂ©fĂšre certainement vĂ©rifier dâautres occurrences de barbarie, en lâespoir de pouvoir noyer tout de mĂȘme le poisson. Et nous ne pouvons que le fĂ©liciter pour son astuce, car câest relativement bien trouvĂ©, il paraĂźt Ă©vident que son montage fera florĂšs auprĂšs de beaucoup de lecteurs qui nâauront pas toujours les moyens de vĂ©rifier ses assertions. Lâautre passage de GA95 quâil tient Ă Ă©voquer stipule La meilleure protection contre le danger [âŠ] quâune telle barbarie de la pensĂ©e » se voie nĂ©anmoins contrainte un jour de reculer. » ibid. Si pensĂ©e est mis entre parenthĂšses, câest trĂšs certainement quâil sâagit de celle auquel le penseur de Messkirch nâaccorde pas ce titre de noblesse, ce label, rĂ©servĂ© Ă la pensĂ©e ontologico-historiale. Preuve en est quâil espĂšre que son emprise diminuera. Notons quâAlfieri propose lâextrait coupĂ©, et quâil ne le traduit pas in extenso dans les pages oĂč il propose des extraits entiers, permettant vĂ©rifications et recoupements orientĂ©s, alors que lui, contrairement Ă moi, Ă©tant publiĂ© par Gallimard, nâaurait aucun problĂšme de droits. Il cite dâautres courts extraits sur lesquels nous reviendrons, notamment de GA97, et se dĂ©pĂȘche dâaffirmer quâil nây aurait que cinq rĂ©fĂ©rences, dont une oĂč le mot Barbarei nâapparaĂźt pas â mais je mâĂ©tais aussi, dans mon pamphlet, demandĂ© si le terme Entwilderung, que jâavais dâabord rendu par fĂ©ralisation, puis par ensauvagement pouvait ĂȘtre liĂ© Ă la barbarie. Cet aspect retiendra par la suite notre attention, puisquâil sera en effet question dâune certaine sauvagerie, laquelle aurait Ă©tĂ© pensĂ©e comme nĂ©cessaire, au coeur mĂȘme des spĂ©culations de Heidegger. En quĂȘte dâextrĂȘme, le penseur radical estime que les nazis nâavaient pas pleinement dĂ©ployĂ© ce Ă quoi ils Ă©taient destinĂ©s, missionĂ©s par le destin Plus de demi-mesures et de compromissions qui nâapportent plus rien â nous devons remonter complĂštement en amont Ă lâinsurrection et ainsi Ă©prouver dans son intimitĂ© la sauvagerie et la tourmente. » GA94, Il est tout simplement impossible de faire lâimpasse sur ce terme clĂ©, insurrection, Aufstand, pour comprendre quoi que ce soit du rapport de Heidegger au nazisme et au judaĂŻsme â â et du coup encore moins ces propos prĂ©cis sur la barbarie et/ou la sauvagerie. Lâouvrage que jâai rĂ©digĂ© il y a deux ans a proposĂ© diverses approches de ce terme auquel je renvoie ici. Pour ce qui nous intĂ©resse, contentons-nous de remarquer que Heidegger, portĂ© par une conviction incapable de la moindre concession, mĂ©prise plus que tout les demi-mesures du nazisme des annĂ©es trente, celui du concordat et des recherches de financement. La sauvagerie nâa pas lâair ici aussi de lâinquiĂ©ter outremesure, il semble mĂȘme lâappeler de ses voeux. aurait-elle des vertus purgatrices, cathartiques? Se confond-elle avec cet initial qui le fait tant fantasmer, et servirait de contrepoint inespĂ©rĂ© contre les affreux raffinement de la culture? Le sauvage est-il ce qui permettrait de rĂ©sister Ă la dĂ©chĂ©ance auquel mĂšne immanquablement lâoubli de lâĂȘtre, propre Ă ceux qui nâosent pas lâĂȘtre, et sont mĂȘme inaptes Ă lâoser? Voire qui diffusent un mode dâĂȘtre favorisant son esquive? Seule certitude AlfiĂ©ri nâen parle pas du tout, ce qui est fort pratique, encore une fois. Comme de procĂ©der Ă des raccourcis extrĂȘmement rapides; aprĂšs avoir Ă©voquĂ© deux autres passages oĂč il est question de la barbarie et du nazisme, il se fĂ©licite de constater que revient le terme danger » Gefahr qui se laisse facilement rattacher au national-socialisme et Ă sa philosophie dans la mesure oĂč celle-ci suit la logique » traditionnelle de la pensĂ©e commune et des sciences exactes » » Tout ici est, dâune certaine façon, consternant. Tout dâabord, le terme facilement montre Ă quel point lâinterprĂšte ne sâembarrasse pas avec le lecteur Ă convaincre, et lâincite Ă procĂ©der aux raccourcis quâil se propose lui-mĂȘme. Alors que le Gefahr, comme de nombreux autres concepts heideggeriens, ne se laisse pas dompter en une tournemain par les tentatives de comprĂ©hension, nous apprenons que la critique du nazisme serait ici facile Ă saisir. Redoublement de la consternation ce que dit AlfiĂ©ri est valide, puisque câest justement parce quâil refuse la logique, la validitĂ© et la science, que Heidegger critiquerait le nazisme. Consternation au cube nous voilĂ amenĂ©s Ă rĂ©diger ne serait-ce quâĂ titre de paraphrase, comme notre interprĂšte que les dĂ©lires raciologiques et idĂ©ologiques de la peste brune auraient quoi que ce soit Ă voir avec la logique tradionnelle et les sciences exactes. Nous devrions donc fĂ©liciter le grand penseur pour son refus du mouvement criminel de Hitler et consorts- â non parce quâil fut barbare il ne le fut Ă ses yeux, au contraire, pas suffisamment, mais parce quâil aurait Ă©tĂ© trop logique et scientifique, ce qui serait le vrai danger, alors que tout ceci aurait Ă©tĂ© salvateur si cela avait Ă©tĂ© engagĂ© au nom de lâĂȘtre! Comme chacun le sait, attaquer la Pologne et brĂ»ler des familles juives, passe encore, mais par contre, tomber dans une scolastique digne de Saint Thomas ou privilĂ©gier les rĂ©sultats dâune Ă©quipe de recherche du CNRS, câest lĂ le cauchemar absolu, le danger. Combien de philosophes professionnels vont mĂȘme applaudir lorsquâils vont lire, ĂŽ sainte horreur, que les nazis auraient souscrits Ă une logique propre Ă la pensĂ©e commune ? Goebbels et Heydrich devaient, alors, vraiment ĂȘtre dâodieux personnages â â puisquâils nâont rien compris Ă Sein und Zeit, le nazisme Ă©tait vraiment dangereux! Dâailleurs, Ă bien y penser, puisquâEmmanuel Faye et moi-mĂȘme sommes censĂ©s ne rien avoir compris non plus Ă la diffĂ©rence ontologique, eh bien nous voilĂ plus proches des bourreaux nazis que Heidegger lui-mĂȘme, irrĂ©prochable! La pensĂ©e nâaurait rien Ă voir avec ces criminels nĂ©cessaires, contrairement Ă la philosophie, qui, empĂȘtrĂ©e dans la mĂ©taphysique, est elle-aussi un humanisme, selon le bon mot de Lacoue-Labarthe. Face Ă tout ce fatras qui finit par faire systĂšme et qui a emportĂ© la conviction de tant de lecteurs, ne reste parfois que lâironie. Mais, non, il faut toujours opposer la probitĂ© et lâacribie contre les montages hermĂ©neutiques perpĂ©tuant le camouflage philosophique de celui qui se rĂȘvait en Ă©minence grise du nazisme. La barbarie, câest ce qui pourrait bien heureusement mettre fin Ă lâĂ©ternel retour dâune certaine engeance, que la philosophie, comme la science, comme la pensĂ©e commune â â comme tout en fait! â ne fait que la perpĂ©tuer. DâoĂč un souhait bien lĂ©gitime dây mettre fin, et de refuser toute philosophie nazie Une philosophie nationale-socialiste » est encore une philosophie » quand bien mĂȘme elle sert le nazisme », claudiquant comme pĂ©danterie pĂ©nible derriĂšre lui » GA94, Le contexte est bien sĂ»r celui dâun mĂ©pris permanent consignĂ© dans ses carnets par Heidegger Ă lâencontre de tous ses adversaires-philosophes plus heureux que lui auprĂšs des autoritĂ©s nazies. Alfieri nâen touche mot, car ces petits persiflages jaloux ne mettent pas franchement en valeur son hĂ©ros. Jean-Pierre Faye, lui, y avait Ă juste titre, et tĂŽt, fait rĂ©fĂ©rence. VexĂ© quâon nâait pas Ă©coutĂ© ses fadaises historiales, Heidegger multiplie les pointes contre les tenants dâun nazisme officiel quâil met dĂ©s lors entre parenthĂšses, puisque ce nâest que celui vulgaire et effectif qui compose avec le principe de rĂ©alitĂ© â et la ratio- plutĂŽt quâavec la radicalitĂ© fantasmĂ©e dâun surcroĂźt de barbarie ou de sauvagerie dĂ©s les annĂ©es trente. Alfieri croit donc pouvoir noter que le penseur prendrait lĂ ses distances avec, je cite, le patrimoine intellectuel national-socialiste â superbe expression pour dĂ©signer les monstruositĂ©s juridiques Ă©chaffaudĂ©es par Hans Frank et consorts. Il se fĂ©licite mĂȘme aux lignes suivantes dâattaques contre un obscur Hans Heyse, censĂ© ĂȘtre philosophe de lâexistence et nazi, ce qui, chacun lâaura compris, prouve bien que Martin Heidegger Ă©tait un rĂ©sistant spirituel, une sorte de Jean CavaillĂšs souabe qui aurait pu Ă coup sĂ»r intĂ©grer La Rose Blanche. Il lâimagine tellement au dessus de la mĂȘlĂ©e quâAlfieri est tout fier de nous citer les extraits oĂč, fanfaronnant cette anti-intraception quâĂ©voque Adorno dans ses Etudes sur la personnalitĂ© autoritaire, Heidegger se vante de refuser tout sentimentalisme, de ne pas sâaffliger sur les temps prĂ©sents et la barbarie imminente, car la pensĂ©e remonte aux sources; Ă contre-courant, le hĂ©ros invisible nâa au fond que faire de la pulvĂ©risation Ă venir de millions dâindividus, lesquels ont lâaudace de ne pas ĂȘtre-le-lĂ , et de ne rien avoir compris Ă son Hauptwerk. VoilĂ bien un motif de mĂ©pris lĂ©gitime Ă lâendroit de ceux qui remplissent, en bourreaux ou victimes, les charniers. Quel grand penseur, si concentrĂ©! Sans transition, lâinterprĂšte italien saute une dizaine dâannĂ©es et passe directement aux textes de GA97, mais nâen parle que six lignes, juste pour dire, tout penaud, que câest trop compliquĂ©, quâil en parlera plus loin. Il y a bien heureusement, pour notre introducteur, bien plus facile, et il nous le dit Il est aisĂ© dâentrevoir que le fil conducteur qui relie les cinq passages analysĂ©s ci-dessus est la pseudo-philosophie », â Ă©lĂ©ment qui revient souvent en Ă©tant rĂ©fĂ©rĂ© au national-socialisme et aux fonctionnaires » de la culture â associĂ©e Ă lâabsence de pensĂ©e » Denken, qui par bien des aspects rapproche le national-socialisme et la modernitĂ© » En un clin dâoeil, Francesco Alfieri vient de siffler le rappel de tous les professionnels de la philosophie qui liront son chef dâoeuvre commun avec von Hermann quiconque ne serait quâun littĂ©rateur, un journaliste, ou quelconque autre technicien de la culture ou de lâhistoricisme serait associĂ© avec Eichmann et dâautres Ă tout autre fonctionnariat ou esclavage de lâĂ©tant et de la nonphilosophie, fut-il celui des machines de mort. La cause? Ne pas avoir assez fait de philosophie â si ce mot convient pour dĂ©signer la pensĂ©e heideggerienne, qui seule est valable, cela va de soi â ne pas avoir de philosophie, ce serait la cause du pire, notamment de toute dĂ©rive toujours insuffisante vers la barbarie. Petit malaise tout de mĂȘme pour ceux qui ont vraiment lu les Cahiers noirs et qui se souviennent pourtant que Heidegger a pu Ă©crire Ma philosophie » â au cas oĂč lâexpression stupide serait utilisĂ©e » GA97, Alfieri nâĂ©voque Ă©videmment pas ce passage, et prĂ©fĂšre conclure triophalement il pense avoir trouvĂ© le sens, dĂ©s lors, de lâexpression principe barbare il dĂ©signerait une propension au fond fort commune, et le mot est faible Ă ne pas Ă©couter Heidegger, câest Ă dire Ă manquer la pensĂ©e de lâĂȘtre. La proposition de PĂšre AlfiĂ©ri-Ubu a ceci de fĂ»tĂ©e quâil est certes vrai au sens de valide, cela va sans dire que Heidegger voit bien dans le nazisme une version parmi dâautres dâempĂȘtrement dans la modernitĂ© technique, autrement dit dans la machination mondiale appendice du premier commencement perverti par le judĂ©o-christianisme. Le barbare Ă©tant lâĂ©tranger, le nazisme effectif serait une version maximisant un Ă©garement ancien, et sa propension Ă la Mischung. Mais câest lĂ ce quâAlfieri ne saurait voir que Heidegger a pu mĂ©diter cette maximisation de lâĂ©garement comme une chance, un instant historial pouvant permettre la dĂ©cision, au sens oĂč lĂ oĂč croĂźt le danger, augmenterait aussi ce qui sauve. Câest parce que les nazis intensifieraient ce quâaurait de pire lâenjuivement ancestral, quâils seraient en mesure dâen pousser la criminalitĂ© dans ses ultimes retranchements, favorisant le passage, la transition vers le nouveau commencement. Donc si Heidegger Ă©voque bien le nazisme comme un principe barbare, câest Ă la fois pour le dĂ©plorer et le cĂ©lĂ©brer selon le contexte et lâhumeur dâabord en en rappelant son origine toujours douteuse et dĂ©testable â â et dâautres part pour en Ă©voquer le caractĂšre salvateur, puisque le pire dĂ©racinement concernant le peuple le plus sombre et enracinĂ©, la violence de son versement forcĂ© dans la modernitĂ© amĂšnerait potentiellement lâĂ©vĂšnement enfin dĂ©-cisif appelĂ© de ses voeux par Heidegger. Puisquâil sâagit de rĂ©gler son compte Ă ce qui surdĂ©termine lâavĂšnement de lâĂšre technique â â par un usage immodĂ©rĂ© de la technique elle-mĂȘme â technique Ă©tant un doux euphĂ©misme dĂ©signant Ă chaque fois lâĂ©lĂ©ment judaĂŻque souverain, honni, et salavateur; chacun pourra imaginer de quelle solution â finale- il pourrait sâagir. Mais pour cela, il faudra cesser de fantasmer Heidegger en espĂšce de hĂ©ros philosophique dont lâexigence de mĂ©ditation pure le tiendrait Ă distance avec un nazisme qui lui demeurerait extĂ©rieur ce truisme bien franco-italien a fait long feu, du moins auprĂšs de ceux qui souhaitent maintenir une distance critique. Le dĂ©lire apologĂ©tique dâAlfiĂ©ri a beau se parer des beaux atours dâune soi-disant lecture interne de la spĂ©culation ontologico-historiale, il ne rĂ©siste pas au discernement de ceux se doutant que mĂȘme si le lien de Heidegger au nazisme et Ă lâantisĂ©mitisme est tortueux, il nâen est pas moins rĂ©el et sournoisement laudatif. Il y a bien trop dâextraits gĂȘnants pour la lecture dâAlfiĂ©ri, et si je ne nie pas que quelques textes curieux des Cahiers noirs peuvent localement mettre Ă mal ma proposition critique dâinterprĂ©tation, je laisse au lecteur le soin dâĂ©valuer par lui-mĂȘme le sens de cette histoire, par exemple, de principe barbare. Pour ce faire, je me permets de renvoyer Ă ce que jâen Ă©crivais dans mon long pamphlet Manipulations concernant la cĂ©lĂ©bration heideggerienne du nazisme comme Principe Barbare » Lettre du 7 juin 1936 Ă Kurt Bauch Le national-socialisme serait beau en tant que principe barbare â mais il ne devrait pas ĂȘtre aussi bourgeois » Correspondance avec Bauch, Apparemment, lâexpression principe barbare » provient de Schelling. Celui-ci renvoie Ă la nature comme substrat de la crĂ©ation divine, au fameux fond » qui intĂ©resse tant notre auteur, justement, en cette annĂ©e 1936. Il nous faut en toucher un mot. Le fond renvoie Ă lâĂąge du PĂšre le judaĂŻsme ? Câest Ă©crit clairement dans ses Urfassung der Philosophie der Offenbarung, Meiner Felix Verlag oĂč Dieu nâest que solitude jouissant de soi, Ă©goĂŻsme et colĂšre â colĂšre qui devra ĂȘtre adoucie par lâautre commencement du Fils lâAllemagne invisible ?, principe de lâAmour !, vouĂ© Ă tempĂ©rer la sauvagerie, le caractĂšre barbare du premier commencement. Mais, indocile, le fond est toujours tentĂ© â puisquâil se caractĂ©rise avant tout par une propension Ă lâasĂ©itĂ©, sa Sehnsucht, dans son indĂ©pendance et sa libertĂ©, par lâinsurrection par rapport Ă lâinjonction divine, Ă entreren insurrection contre lâordre, lâajointement. Or, seul, il est inconscient, irrationnel contractant, entĂ©nĂ©brant » cf. les Weltalter, stĂ©rile anhistorial ? et câest en quelque sorte son dressage qui permet nĂ©anmoins cet ordre, cet ajointement de tout ce qui est. Le philosophe idĂ©aliste affirme en effet de lui que vaincu mais non annihilĂ©, il demeure la base de toute grandeur et de toute beautĂ© » SĂ€mmtlicheWerke, VIII, p. 343. Il faudrait relire Miklos Vetö, voire le fameux texte de Marc Richir non pas sur la barbarie, mais sur la sauvagerie, pour commencer Ă comprendre de quoi il retourne Sauvagerie et utopie mĂ©taphysique » PrĂ©face Ă Schelling. Les Ages du monde â versions premiĂšres, 1811-1813. Mais plus gĂ©nĂ©ralement, comme nous y inviterons souvent dans cet Ă©crit, relire Schelling et les premiers cours de Heidegger Ă son sujet, absolument dĂ©cisifs, peut-ĂȘtre mĂȘme davantage que ceux sur Hölderlin, proposĂ©s en trompe-lâĆil. En tout cas, ce passage sur le nazisme comme principe barbare nĂ©cessite une Ă©lucidation de la part des chercheurs,et certains chevronnĂ©s comme Jean-François Courtine pourraient nous apporter leurs lumiĂšres. Il y avait eu en tout cas un dĂ©bat avec Elkabbach oĂč FĂ©dier assurait Ă son contradicteur que barbare » Ă©tait, sous la plume de Heidegger, assurĂ©ment pĂ©joratif. Les Cahiers noirs restent exactement dans la mĂȘme tonalitĂ©, et en rajoutent mĂȘme une couche dans lâinfamie Le nazisme est un principe barbare. Câest sa plus essentielle et potentielle grandeur. Le danger nâest pas lui-mĂȘme â mais quâil soit galvaudĂ© en une prĂ©dication sur la vĂ©ritĂ©, le bon et la beautĂ© â comme dans une soirĂ©e de formation scolaire. Et que ceux qui veulent en faire sa philosophie, nây aient alors rien mis dâautre que la logique » dĂ©suĂšte de la pensĂ©e commune et de la science exacte, au lieu de comprendre que dĂšs maintenant la logique » arrive de nouveau dans la dĂ©tresse et la nĂ©cessitĂ© et doit prendre une nouvelle source » GA94, Heidegger nâest pas franchement en train de sâĂ©mouvoir de la barbarie nazie â mais bien plutĂŽt du fait que ses collĂšgues dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s ne prennent pas acte de la radicalitĂ© du mouvement, lequel est censĂ© rompre avec toute la logique occidentale du premier commencement. On pourra bien sĂ»r, Ă loisir, songer Ă Hölderlin et ces barbares qui tout calculent⊠» Ou plutĂŽt, avec plus de pertinence, se dire quâHeidegger envisage par ce terme de barbarie » une Allemagne complĂštement dĂ©christianisĂ©e, et cela va sans dire, dĂ©senjuivĂ©e, ce que suggĂšre la fin de sa phrase. Ce que Heidegger exĂšcre le plus chez ses compatriotes qui ne reconnaissent pas son gĂ©nie millĂ©naire, câest leur propension Ă tomber dans les travers du libĂ©ralisme prĂ©cisĂ©ment reprochĂ© Ă lâennemi comme avatar du calcul et du dĂ©racinement. Heidegger plaide en faveur de plus de radicalitĂ© contre lâempĂątement trivial du rĂ©gime une fois la grandeur » de lâĂ©vĂ©nement initial Ă©vanouie. Il veut souffler sur les braises, raviver la flamme. Et continuera de le faire longtemps jusquâĂ la toute fin de la guerre, comme le montre une lettre de 1945 oĂč il dĂ©plore et espĂšre Ă la fois, suggĂ©rant quâun principe obscur aurait empĂȘchĂ©, du fond des temps lâAllemagne nazie de dĂ©ployer son essence plĂ©niĂšre ! Ici, tout le monde ne pense quâĂ lâeffondrement. Mais la vĂ©ritĂ© est que nous autres Allemands ne pouvons nous effondrer, car nous nâavons pas encore surgi. Nous devons marcher Ă travers la nuit. » Francesco AlfiĂ©ri ne fait pas la moindre rĂ©fĂ©rence Ă cette source schellingienne de cet idiome, principe barbare, alors que comme lâinsurrection, câest un concept que Martin Heidegger reprend Ă son compte discrĂštement dans les annĂ©es trente, lorsquâil Ă©labore la pensĂ©e de ce tournant historial quâa dĂ» ĂȘtre Ă ses yeux sa nouvelle comprĂ©hension de ce quâĂ©tait, et devait ĂȘtre, finalement, le nazisme comble salvateur du premier commencement. Jâai souhaitĂ© proposĂ© ma premiĂšre interprĂ©tation, rĂ©digĂ©e il y a dĂ©jĂ plus de deux ans, afin, Ă©galement, de relativiser la prĂ©tendue maestria de lâinterprĂšte italien, qui pense pouvoir expĂ©dier en cinq pages une interprĂ©tation adĂ©quate de lâexpression qui nous intĂ©resse. Principe barbare doit ĂȘtre abordĂ© dans un contexte spĂ©culatif complexe, trĂšs particulier, qui est celui de la passe ou de la transion rĂȘvĂ©e par Heidegger, entre la souverainetĂ© du premier commencement nâen finissant plus, et ce nouveau commencement quâil porte aux nues, qui Ă la fois collecterait cette ancienne souverainetĂ© surdĂ©terminant mĂȘme la modernitĂ© â et Ă la fois lui opposerait le plus profond divorce. Concernant cette engeance interminable et la façon dont elle rĂšgne encore dans les temps modernes, de nombreux indices sont dissĂ©minĂ©s dans les Cahiers noirs en faisant discrĂštement Ă©tat; ainsi de ce passage dĂ©cisif, qui devrait susciter lâincrĂ©dulitĂ© de tout lecteur, y compris ceux qui sâestiment le mieux attentionnĂ©s, les plus tentĂ©s par une lecture charitable Le pharisaĂŻsme de Karl Barth et consorts surpasse mĂȘme celui de lâancien judaĂŻsme dont lâampleur avait pourtant dĂ©fini les nĂ©cessitĂ©s de lâhistoire moderne de lâĂȘtre ». GA95, Ma question est simple quâest-ce que Heidegger cherche prĂ©cisĂ©ment Ă nous dire de lâancien judaĂŻsme dans ce passage plus que jamais allusif? Quel rapport entre les nĂ©cessitĂ©s de lâhistoire moderne de lâĂȘ tre et eux, au juste? Cela revient-il Ă dire, Ă la façon de Nietzsche, que lâengeance judĂ©o-chrĂ©tienne surdĂ©termine ce qui va advenir des milliers dâannĂ©es aprĂšs lorsque tel dictateur envoie dans les camps de la mort des millions de victimes? Un texte rĂ©digĂ© alors que les fours crĂ©matoires fonctionnent Ă plein ne se gĂȘne pas de lâaffirmer sans ambages le Monothéïsme judĂ©ochrĂ©tien» est prĂ©sentĂ© comme Ă©tant Ă lâorigine des systĂšmes modernes de la dictature totale » GA97, Anmerkungen I-V. Mon hypothĂšse est aussi tortueuse que le montage spĂ©culatif heidegger menant Ă la justification, comme un boomerang historial, de la solution finale ce quâil nomme principe barbare doit ĂȘtre saisi comme une forme de suprĂ©matie, du genre de celle qui permettent de prendre ou non des dĂ©cisions permettant une souverainetĂ© millĂ©naire. Ou bien, ou bien soit amener, par quelques engeance prophĂ©tique juive, le monde entier dans le mĂ©lange immĂ©morial de la seule considĂ©ration pour lâĂ©tant et son Ătre Sein par inaptitude Ă penser la diffĂ©rence ontologique, soit, bien Ă©videmment, le rĂšgne Ă venir du Seyn, dont Heidegger Ă©crit Ă Kurt Bauch quâil sâagit dâun Deckname, un mot-couvert, pour dĂ©signer la chĂšre patrie teutonne, Vaterland. Le nazisme serait beau en tant que principe barbare, câest-Ă -dire sâil comprenait enfin sa mission dĂ©volue de mener Ă son terme, par ses ultimes et pires consĂ©quences, la rage juive qui anime le premier commencement, afin dâen permettre la derniĂšre catharsis, la purge finale, et permettre lâavĂšnement du nouveau commencement. AlfiĂ©ri est bien loin dâune telle prise de conscience systĂ©matique dâoĂč veut en venir Heidegger Ă partir de 1934, lorsquâil prend conscience du parasitage intime du mouvement par ce quâil est censĂ© combattre, et quâil comprend que seule une gigantomachie discrĂšte mais finale avec lâennemi intime permettra la dissension totale avec son habiletĂ© tenace Ă tout mĂ©langer. LâinterprĂšte, bien loin de la prise en compte de ces enjeux violents, prĂ©fĂšre piteusement minorer, Ă la page 128 de lâouvrage quâil a commis, lâexpression grandeur Grösse utilisĂ©e par Heidegger pour dĂ©signer le principe barbare. Il repĂšre en effet lâambivalence supposĂ©e de ce terme, certes parfois Ă©voquĂ© de façon pĂ©jorative par le penseur, dâune façon qui est Ă corrĂ©ler Ă toute la thĂ©matique du gigantisme, dĂ©nonçant les outrances de la toute derniĂšre modernitĂ©, notamment communiste et surtout amĂ©ricaine; les cas oĂč Heidegger sâen prend apparemment aux nazis, câest parce quâils souscrivent selon lui tĂȘte baissĂ©e Ă ce libĂ©ralisme et cet amĂ©ricanisme du colossal et du gigantesque. ProblĂšme AlfiĂ©ri est soit malhonnĂȘte, soit incompĂ©tent â soit sĂ»rement un peu des deux- lorsquâil sâen tient Ă ces conjectures car le penseur quâil cherche Ă paraphraser attaque certes vertement les dĂ©rives barbares â â mais nâoublions jamais quâen mĂȘme temps il les bĂ©nit comme ce qui mĂšnera Ă terme ce dĂ©roulement de toute façon nĂ©cessaire du premier commencement. En sâen souvenant, lâambiguĂŻtĂ© du terme grandeur devient toute relative, puisquâelle est Ă renvoyer Ă la duplicitĂ©, dâallure il est vrai parfois schizophrĂšne, qui prĂ©side au rapport que Martin Heidegger entretient avec la technique, la technologie, la machination, quâĂ la fois il cherche Ă stigmatiser tout en en rappelant dĂ©s que possible la nĂ©cessitĂ© historiale, quâil faudrait patiemment intensifier â charge qui reviendrait Ă un nouveau peuple Ă©lu, lequel nâest autre que le sien. Devenir plus que jamais esclaves de la machination pour lâintensifier et en permettre la mission initiale â mener Ă lâauto-anĂ©antissement de ceux qui lâont dâabord promu de par leur vie selon le principe de la race- voilĂ la charge Ă la fois mĂ©prisable et souveraine qui, selon lui, reviendrait aux nazis si ceux-ci avaient un peu lâaudace de jouer pleinement leur rĂŽle, plutĂŽt que de nâĂȘtre, comme il le regrettera aprĂšs guerre, des CĂ©sars Ă©moussĂ©s Lâerrance de 1933 consistait dans le fait de ne pas avoir reconnu combien peu de prĂ©paration et de forces, combien peu historiaux et combien peu libres pouvaient-ils ĂȘtre malgrĂ© le dogmatisme nĂ©cessaire. Lâerrance repose sur le fait que les fonctionnaires nâont pas Ă©tĂ© reconnus comme fonctionnaires. Mais peut-ĂȘtre ne lâĂ©taient-ils pas encore vraiment, ils nâavaient pas suffisamment endossĂ© ce rĂŽle. Ils lâont jouĂ© directement Ă la façon de petits-bourgeois, comme des CĂ©sars Ă©moussĂ©s » GA97, Le dĂ©but de cet extrait corrobore notre hypothĂšse concernant le vĂ©ritable sens du fameux tournant de 1934 il consiste en la reconnaissance du caractĂšre tĂ©lĂ©guidĂ©, intimement enjuivĂ© et en cela perverti, du rĂ©gime, vouĂ© Ă nâĂȘtre que le pantin dâune plus ancienne volontĂ© de puissance cachĂ©e, lâinstrumentalisant. Câest surtout la fin du passage qui nous intĂ©resse ici, suggĂ©rant lĂ -encore, pour ceux qui persistent Ă prendre Martin Heidegger pour un enfant de choeur, que son appel Ă la mise Ă jour plĂ©niĂšre du principe barbare avait tout Ă voir avec la sauvagerie incroyable dĂ©ployĂ©e par le rĂ©gime nazi, laquelle nâa cessĂ© toutefois de lui sembler bien infĂ©rieure Ă celle, abritĂ©e et discrĂšte, de celle de son ennemi intime, et qui sâest propagĂ©e chez toute sorte de pharisiens enjuivĂ©s bien plus nocifs et raffinĂ©s Ă ses yeux; il nâhĂ©site dâailleurs pas Ă la nommer lâinessence irresponsable, qui dĂ©passe de plusieurs milliers de degrĂ©s la rage de Hitler en Europe » GA97, La prĂ©sence dâĂ©crits heideggeriens suggĂ©rant quelque courroux Ă lâencontre du principe barbare nâest Ă corroborer quâĂ ses nombreux textes oĂč il dĂ©plore ce qui est pourtant nĂ©cessaire que les Allemands soient, du peuple le plus enracinĂ©, celui Ă qui reviendrait le plus la charge tragique dâassumer Ă fond cette Mischung inĂ©vitable, cette situation inextricable oĂč lâennemi invisible lâentraĂźne Ă sa propre perte; mais tel un Berserker entrant dans une terreur sacrĂ©e, lâAllemand qui devrait endosser pleinement le rĂŽle nazi comme une Ă©preuve de lâĂ©tranger, de lâĂ©trangĂšretĂ©, de lâinsolite terme trĂšs utilisĂ© dans le traitĂ© de 1939 Lâhistoire de lâĂȘtre en arriverait ainsi Ă se dĂ©barrasser de ce qui le parasite depuis des siĂšcles, ce qui du judĂ©o-christianisme aurait empoisonnĂ© lâIster, le Rhin, en amont. Pour revenir aux trivialitĂ©s que ces spĂ©culations dĂ©lirantes de Heidegger camouflent mal, il Ă©tait dâusage courant, chez les nazis, de fantasmer telle nĂ©cessitĂ© apocalyptique par laquelle lâAllemagne arriverait pleinement Ă se libĂ©rer de lâengeance allogĂšne, ses malversations, lesquelles se seraient largement emparĂ©es du pauvre Dasein teuton. Prise dans lâĂ©tau dâune barbarie qui a fini par lâinfiltrer profondĂ©ment, le nazisme vulgaire est bien insuffisamment paranoĂŻaque, et Heidegger prĂ©tend repĂ©rer un complot bien plus vicieux encore, comblant au passage ses lecteurs professionnels versant dans la philosophie du soupçon. Lâextrait Ă©voquant la rage de Hitler ne devraient donc en aucun inciter Ă la lecture facile consistant Ă voir une critique de cette ire, tant celle-ci est apparentĂ©e Ă la libĂ©rtĂ© et nĂ©cessitĂ© dâerrer que Heidegger ne cherche de thĂ©matiser comme seule planche de salut de lâOccident. Il ne sâest donc pas dĂ©dit aprĂšs-guerre concernant la vĂ©ritable grandeur du national-socialisme car, contrairement Ă AlfiĂ©ri qui nây comprend pas grand chose, il est restĂ© cohĂ©rent. Lui, tout fier de sa petite trouvaille concernant la plurivocitĂ© de grandeur quâil ne prend Ă©videmment pas le temps dâexpliciter, tire ses consĂ©quences On peut supposer que les cours de Fribourg des annĂ©es 1933-1945 dans lesquels Heidegger reconnaĂźt la grandeur » propre au mouvement » national-socialiste, doivent ĂȘtre revisitĂ©s hermĂ©neutiquement sur la base de la complexitĂ© du terme Grösse. Nâayant pas la moindre idĂ©e de ce Ă quoi cela lâengagerait, AlfiĂ©ri nâhĂ©site pas, il fonce Le doute demeure et peut ĂȘtre justifiĂ© par la fluiditĂ© avec laquelle Heidegger outrepasse â au sens dâune re-crĂ©ation â les unitĂ©s sĂ©mantiques de nombre de paroles fondamentales Grundworte afin dâaccĂ©der Ă de nouveaux horizons de sens pouvant ĂȘtre infĂ©rĂ©s sur la base du contexte dans lequel se situent ses rĂ©flexions. A poursuivre un tel itinĂ©raire, lâhermĂ©neutique devra tenir compte de concordances philologiques assez difficiles et sây confronter ». Câest fantastique dans un essai scandant tapageusement rĂ©vĂ©ler la vĂ©ritĂ© sur les Cahiers noirs, notre interprĂšte officiel-cooptĂ©, au lieu de se mettre Ă lâouvrage devant nos yeux Ă©bahis, choisi la plus sĂ©duisante des stratĂ©gies rappeler Ă quel point il faudrait se mettre au travail â â ce quâil ne fait certes pas lui-mĂȘme, mais il prĂ©vient que cela ne va pas ĂȘtre facile! On le comprend puisque il ne le fait lui-mĂȘme pas, lĂ oĂč câest pourtant ce quâil annonce. Les quelques interpolations tentĂ©es avec les occurences de lâidiome principe barbare nâont donnĂ© de son cĂŽtĂ© que de bien maigres rĂ©sultats, bien loin de nous mettre devant les yeux la vĂ©ritĂ© nue de ces textes douteux. Mais attention, AlfiĂ©ri nâest pas un hermĂ©neute avare, si bien quâau paragraphe suivant, il paye sa tournĂ©e, il arrose Quelques exemples seulement, pour signaler quâil nâest pas possible de supposer un sens littĂ©ral aux termes employĂ©s » ibid. ce Ă quoi nous avons envie de rĂ©pondre certes. Heidegger se crĂ©e sa propre conceptualitĂ©, chacun lâavait compris. Las, alors que nous pourrions attendre le travail minutieux quâil prĂ©tend mener, AlfiĂ©ri va encore une fois se contenter dâĂ©voquer dâhypothĂ©tiques clĂ©s hermĂ©neutiques qui interviendront plus tard dans son travail, puis digresse, tant quâĂ faire, en se jetant sur un nouvel os Ă ronger, une nouvelle stratĂ©gie dâeuphĂ©misation, qui nâest autre quâune critique cinglante que son hĂ©ros a formulĂ© Ă lâencontre du nazi Baeumler, rĂ©digĂ©e, dit-il, sans mĂącher ses mots. Ce nâĂ©tait pas bien difficle personne ne lisait ses cahiers privĂ©s. Il nâest plus question, dans les lignes suivantes, dâexpliciter principe barbare ? Eh bien non, AlfiĂ©ri est dĂ©jĂ passĂ© Ă autre chose. VoilĂ le genre de texte que Von Herrmannn nâhĂ©sitait pas Ă co-signer des deux mains. Quiconque aurait du temps Ă perdre pourrait reprendre tous ses Ă©crits, en particulier celui intitulĂ© Wege ins Ereignis portant sur les BeitrĂ€ge, pour y montrer comme dans ceux de FĂ©dier et dâautres Ă quel point ils sont faux et nient la rĂ©alitĂ© du nazisme et de lâantisĂ©mitisme propre Ă la mĂ©tapolitique heideggerienne. LĂ©vy 1889) modifier Le Comte Victime d'une machination, il est accusĂ© de bonapartisme et emprisonnĂ© au ChĂąteau d'If, une Ăźle au large de Marseille 1815 : Edmond DantĂšs est ce jeune marin Ă qui tout rĂ©ussit Vernay had already adapted Dumas' novel in 1943, with Pierre Richard-Willm (then a prominent star in French cinema) in the lead role My version has the complete